Gare de Bokzal
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Les passagers du transsibérien: Irkoutsk – Moscou

La suite de notre traversée de la Russie, le trajet en transsibérien entre Irkoutsk et Moscou: 3 jours et 4 nuits à bord.
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Gare de Bokzal
Gare de Bokzal

Et c’est reparti, après une pause magique sur les berges du lac Baïkal gelé, nous voilà de nouveau sur les quais de la gare d’Irkoutsk à attendre de prendre place dans le train qui nous conduira à Moscou le long de la mythique voie de chemin de fer du transsibérien. Dans le froid sibérien de cette fin d’hiver (en avril), nous patientons en attendant que la prodvonista daigne bien nous ouvrir les portes du wagon, son second foyer. Après les vérifications d’usage, nous nous engageons dans l’antre de la bête et trainons difficilement nos gros sacs dans l’étroit couloir qui mène à notre couchette. Heureusement pour nous, le wagon est vide et nous n’avons pas encore besoin d’éviter les pieds qui dépassent des couchettes trop petites.

Par rapport au premier voyage, l’excitation a cédé la place à une légère appréhension de ne pas être à sa place ou d’être de trop dans ce wagon de 3ème classe. La réalité économique a fait que nous avons connu un déclassement et avons préféré prendre un billet en 3ème classe ou platzkart. Contrairement au “luxe” de la deuxième classe, la fausse intimité des compartiments disparait pour laisser la place à un vaste dortoir de 54 places où s’agencent des rangées de 4 couchettes perpendiculaires à la voie en face desquelles deux couchettes s’alignent parallèlement au couloir. Entre les rangées une planche de séparation donne l’illusion d’un entre soi. Pour un peu, on se croirait dans le décors des colonies de vacances racontées par nos parents. Nous découvrons cependant que le train perd (irrémédiablement?) du terrain sur ce trajet par rapport au développement du trafic aérien. Les offres des compagnies russes sont plutôt bien fournies sur ce tronçon avec plusieurs vols quotidiens. Le gain de temps est bien sûr primordial puisque Moscou est seulement à 5 heures d’Irkoutsk en avion. Il doit être facile de trouver un billet pas cher en s’y prenant en avance. Ce ne sera pas pour nous et c’est sans doute pour cette raison que rares sont ceux qui feront le trajet dans son intégralité, la majorité des gens empruntera le train sur de plus courtes distances, entre des villes qui n’ont pas forcément d’aéroport. il n’y a guère plus que les touristes pour trouver ce petit gout d’aventure ou de romantisme à un séjour de trois jours dans un train.

Achetés seulement deux jours auparavant, nos billets ne nous permettent que de prendre place sur des  couchettes superposées dans le sens de la voie, c’est-à-dire dans le couloir, à peu près au milieu du wagon. Nous avions le choix entre le couloir ou se retrouver dans les couchettes près des toilettes. Étant donné la propreté des trains russes, nous n’avions pas compris tout de suite en quoi ces couchettes constitueraient un inconvénient. Ce n’est que plus tard que nous en aurons découvert les secrets. Finalement, cet emplacement s’avèrera un très bon poste d’observation, notre champ de vision englobant presque la totalité des couchettes du wagon… En contrepartie, en tant que seuls étrangers, nos moindres faits et gestes seront plus ou moins discrètement épiés par nos voisins…

Les concerts de ronflements rythment la nuit du transsibérien

Le compartiment en platzkart
Le compartiment en 3ème classe

Ayant pris place à 23h, nous avons à peine le temps de nous familiariser avec ce nouveau foyer temporaire puisque l’extinction des feux entre en vigueur à cette heure; une règle d’or parmi tant d’autres pour rendre supportable cette vie en communauté forcée. Je m’endors sans difficulté, bercée par le doux ronronnement du train sur les rails. Seuls les arrêts prolongés en gare viennent perturber ce sommeil digne de Morphée. En cause le va-et-vient des voyageurs montant et descendant du train qui malgré tous leurs efforts font du bruit mais surtout  la magie du bercement qui s’est rompue, à la manière des nourrissons qui se réveillent lorsque la poussette n’est plus en mouvement. Pendant ces brefs moments d’éveil, je peux à loisir m’imprégner du concert de ronflement qui s’exécute près de mes oreilles. Le silence du train à l’arrêt dans la nuit russe mets en avant l’art des nombreux ronfleurs du wagon. Mentalement, je m’imagine en chef d’orchestre de ces drôles de musiciens. Quant à Guillaume, il éprouve un peu de mal à trouver la bonne position pour  caser sa corpulence dans la couchette d’1m80, et il apprendra vite à dormir en chien de fusil.

Aux premières lueurs du jour, le premier matin ainsi que les suivants d’ailleurs, c’est toujours avec une grande curiosité que nous sortons la tête de nos draps pour découvrir les nouveaux voyageurs qui nous ont rejoint ou bien pour regretter ceux qui sont partis. Les “mémés” en face de nous nous auront accompagné jusqu’à Moscou. Auprès d’elles, nous aurons découvert qu’il était possible de dormir presque 72 heures sans discontinuité! Entre leurs siestes interminables, nous aurons pu admirer le spectacle de leurs petites manies: le coup de peigne après chaque somme, les œufs durs du petit matin et le sachet de thé partagé du gouter. A la rangée d’à côté de nous, une petite fille fait les yeux doux aux voyageurs autour d’elle, très vite, elle deviendra la vedette du wagon… Héroïque, elle supportera les trois jours de train sans trop s’(/nous)énerver.

Le quai devient alors un petit théâtre

Poissons séchés sur un quai
Faire ses courses sur le quai: poissons séchés

Des pauses salvatrices ponctuent également nos journées. Quand elles ne servent pas au ravitaillement, elles sont l’occasion de “discuter” avec d’autres voyageurs et d’élargir ainsi le microcosme des 6 couchettes dans lequel nous évoluons. Quelques voyageurs sont particulièrement curieux, et malgré la barrière de la langue, nous arrivons à glaner quelques informations sur les uns et sur les autres. Le quai devient alors un petit théâtre fait des quelques mots d’anglais des uns, de russes pour nous, de la ressemblance de certains mots en  russe et en français et de mime, un véritable sabir presque fonctionnel prêt à remplacer l’espéranto. Ainsi nous faisons connaissance de Luba et Paul, un couple russo-ukrainien, qui habitent Briansk (à 6 heures de train de Moscou) et qui était en Sibérie pour visiter la famille. A chaque pause, Luba nous demande si l’on n’a pas trop froid. Quand nous lui retournons la question, elle acquiesce grandement et nous comprenons à ses gestes qu’habitant “Kiev”, elle ne peut qu’avoir très froid en Sibérie. Nous en sourions: comme si Kiev était réputé pour son climat clément…

Entre les passagers russes du train, les ragots vont bon train, chacune de leur “victoire” (c’est-à-dire découvrir un peu de notre vie) est immédiatement rapporté aux voisins de couchette. Parce que nous sommes sans cesse en train d’écrire afin de rattraper nos retards dans nos carnets de bord, ils nous imaginent écrivains ou journalistes et se sont ainsi fait une haute opinion de nous. A la fin, nous découvrons un bon moyen de contourner la barrière de la langue et de partager ainsi du bon temps avec eux : le jeu de carte (le “durak”)!

La prodvonista crée l’animation du wagon avec sa peluche géante

La ville de Kazan
Un aperçu rapide de la ville de Kazan

Dans la deuxième partie du wagon, dans les couchettes les plus éloignées de la prodvonista, nous pouvons facilement imaginer la vodka comme facilitateur social. Les regards vaporeux, eux, parlent. Et même s’il est interdit de consommer de l’alcool dans le train, il existe toujours un moyen de boire sans trop se faire remarquer de la prodvonista. C’est d’ailleurs pourquoi l’on nous avait déconseillé les couchettes près des toilettes: elles sont le lieu de rassemblement de tout ceux qui veulent picoler un coup, à l’abri des regards indiscrets!

Quant à la prodvonista, on peut peut-être lui reprocher son manque de sympathie, mais sans elle, ce voyage pourrait facilement se transformer en enfer. Elle est la garante de la propreté des lieux (et surtout des toilettes) et plusieurs fois par jour nous la regardons avec admiration manier seau et balai. La porte de son jardin secret (son compartiment) nous est condamnée tandis qu’elle le partage avec la prodvonista de nuit. La seule fois où nous la verrons enthousiaste est pour nous montrer la gigantesque peluche qu’elle a acheté pour sa gamine. Tour à tour, les passagers du train défilent dans son compartiment pour la voir et la complimenter sur son achat. Elle a provoqué l’animation de la journée!

C’est fascinant d’observer comment, en “voyage”, les êtres humains tissent facilement des liens entre eux en très peu de temps, alors que dans le “train train” quotidien, il est si dur de regarder son voisin. Ainsi dans ce train, le premier jour, tous les passagers se regardent en chien de faïence, on s’observe, on se jauge. Le deuxième jour les langues commencent à se délier, les conversations vont bon train. Le troisième jour, une famille s’est constituée et les éclats de rire alternent avec le partage de victuailles. A la sortie du train, tout le monde se donne l’accolade et l’on devinerait presque les répliques suivantes : “quel dommage que de se quitter maintenant! Le voyage en train passe si rapidement!”.

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  1. Mon éventuel voyage en transibérien est loin encore d’être prévu ! Je suis de plus en plus dans l’optique de limiter mes voyages en avion. Pour l’instant, je suis en train de réaliser un long voyage en Amérique latine. Mais quand il sera temps pour moi d’aller en Asie, je privéligerai le voyage sur terre plutôt que dans l’air.
    Kalagan@Blog voyage Articles récents..Voyage d’1 an en Australie : le très bon livre d’un globe-trotter

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