Man Mohan aura été notre hôtelier durant les quelques jours passés à Tansen, sur la route entre Chitwan et Pokhara. Dans sa maison, devenue trop grande, il loue trois petites chambres aux gens de passage. C’est leur simplicité qui les rend si charmante: ici, pas de wifi ni de générateur pour combler les défaillances dans la distribution d’électricité. Ici, on se douche au sceau avec de l’eau puisée dans la citerne, qui, avec de la chance, aura tiédie grâce à l’action du soleil. Il paraitrait que c’est un baroudeur allemand à vélo qui l’aurait convaincu d’ouvrir sa maison aux étrangers. Profitant de l’absence d’une offre hôtelière de type “guesthouse”, il a fait la promotion de ses “chambres chez l’habitant” tout en tenant l’office de tourisme du village. Puis, le bouche à oreille aidant, de plus en plus de voyageurs sont passés par chez lui. Puis, ce fut l’apogée, il est repéré par le sacro-saint guide de voyage “lonely planet”! Depuis, il ne cesse de collectionner les histoires de ces gens de l’Ouest, comme il aime à nous appeler, qui le déroutent tout autant qui le fascinent.
Même s’il est très ouvert et semble apprécier très sincèrement discuter avec nous, à l’écouter nous raconter les excentricités des voyageurs qu’il accueille sous son toit, on ne peut s’empêcher de déceler dans ses propos, des sentiments contradictoires d’attirance-rejet vis-à-vis de la société occidentale. De fait, il nous confie surtout des histoires de femmes voyageant seules, dénotant sa fascination pour la liberté des femmes en Occident. Ce qui n’est pas étonnant dans une société à domination masculine, où la femme est encore souvent reléguée à un rôle de servante.
Nous l’aurons donc patiemment écouté des heures durant nous parlant de la femme qui avait utilisé son portable pour appeler son amant indien, marié avec trois enfants, ou de celle qui flirtait avec un népalais depuis plusieurs années mais qui ne s’était toujours pas décidé à l’emporter dans ses bagages à son retour en Europe, ou de la jeune fille qui s’était réfugiée chez lui après avoir eu des ennuis sentimentaux dans son ancienne Guest-house, ou enfin de celle qui était rentrée tard, sans le prévenir, avec en plus un verre dans le nez, comme cela est soi-disant d’usage lorsqu’on sort entre ami en Occident…
Il connait aussi tous les faits et gestes des étrangers vivant dans sa bourgade. A notre question sur l’activité d’étrangers allemands que nous avions croisé plus tôt, il répondra aussitôt: ce sont des missionnaires protestants. S’ensuivra alors une explication intéressante de sa part sur l’action des missionnaires chrétiens au Népal. Alors que nous pensions l’évangélisation chrétienne révolue et l’associons aux temps des colonies, le Népal se trouve être un bon terrain de reconversion.
Ce n’est pas seulement l’espoir d’un bon souper ou l’accès à des soins gratuits qui attirent les népalais vers les missionnaires protestants. C’est plus fondamentalement, l’espoir de changer de statut social pour les basses castes de la société. En se convertissant au christianisme, ces népalais sortent du système des castes hindouistes et ne sont plus censés subir toutes les discriminations sociales qui ponctuent le quotidien, des “intouchables”, notamment.
Même si le système de caste est officiellement interdit au Népal, il est encore pratiqué presque partout, que ce soit dans les villages reculés ou en ville. Selon Man Mohan, les faits divers des journaux regorgent de tabassages collectifs d’intouchables ayant osé bravé leur position de renégat de la société pour des histoires d’amour ou de commerce. Pas étonnant alors que le christianisme ait la côte auprès des intouchables, qui n’ont pas besoin d’attendre leur prochaine vie pour espérer améliorer leur sort.
Finalement, c’était à notre tour d’être fasciné par l’Orient…
2 comments
Vous, êtes des ” collectionneurs d’histoires” en tout cas cela laisse augurer de sacrées discussions à votre retour.
Et pas forcément chargées d’optimisme !
Encore Bravo pour vos “coups d’oeil” qui ne sont ni didactiques,ni partisants.
Nous en avons bien besoin avec notre presse:”aux ordres”.
@JPGB –
Merci Jean-Pierre pour tes compliments. C’est sûr qu’avec ce voyage, il est dur de conserver une vision idéalisée de notre monde… Cependant, à notre petite échelle, nous avons pu aussi expérimenter quelques beaux moments d’échanges et de partages sans contreparties financières. Alors nous sommes partagés…
Claire et Guillaume Articles récents..Rencontre à la croisée des chemins: Man Mohan, le collectionneur d’histoire