Le bagne des Annamites

Premier article – d’une longue série – sur le bagne en Guyane avec un des aspects méconnus de la déportation.
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bagne_annamites_cellules     Avec cet article, nous commençons une série sur l’histoire du bagne, qui a tant façonné l’image que l’on se fait de la Guyane depuis la métropole. La “Guillotine sèche” comme on appelait le bagne a beaucoup participé à cette mauvaise réputation que le territoire traine comme un boulet (de bagnard). Et c’est avec une des facettes les moins connues de cette histoire, le sort réservé aux prisonniers politiques des colonies, que nous allons débuter une série qui s’annonce longue.

Situé sur la crique Anguille, à 45Km de Cayenne, le camp doit son nom aux ressortissants du Royaume d’Annam, les Annamites donc, qui peuplèrent ses cellules de 1932 à 1946. Ces vietnamiens, car le Royaume d’Annam n’est autre que le Vietnam actuel, eurent le tort d’exprimer un peu trop – aux goûts des autorités – leur mécontentement vis à vis de la puissance coloniale.

Le sentier menant au bagne
Le sentier menant au bagne

Le soulèvement de Yen-bay, le 10 février 1930, une mutinerie dans une caserne de la ville du même nom, donna quelques sueurs froides au gouverneur Pierre Pasquier, assez en tout cas pour le décider, après avoir guillotiné les plus impliqués, à exporter en Guyane les éléments subversifs de la colonie.

En février 1931, ce sont donc 100 prisonniers politiques et 400 condamnés de droits communs (pour faire bonne mesure sans doute) qui embarquent à bord de la Martinière pour une traversée de 35 jours à destination de la Guyane. A leur arrivée en avril 19311, ils sont d’abord placés au pénitencier de la pointe Buzarée à Cayenne mais une révolte force l’administration à les répartir dans d’autres prisons. Il y a trois camps “dédiés” aux Indochinois: la Forestière à Apatou, Petit-Saut (maintenant englouti par le lac)  et le camp Crique Anguille qui deviendra, avec le temps, le bagne des Annamites.  Donc à la suite de cette révolte, une centaine de prisonniers est envoyée au camp de la Forestière tandis que les 395 autres sont envoyés au camp crique Anguille.

La voix ferrée menant au port
La voix ferrée menant au port

Le camp s’étend sur 414 hectares constitués de forêts secondaires parsemées de clairières. Le but recherché par l’administration est de désenclaver cette partie du territoire en construisant un chemin de fer qui relierait les trois  camps réservés aux indochinois. Ironie de l’histoire ou cynisme du gouverneur, quoiqu’il en soit les prisonniers sont gardés par des tirailleurs… sénégalais jusqu’en 1940. Du campement d’antan, il ne reste plus aujourd’hui que quelques fondations, une énigmatique voix ferrée, le cachot, une machine rouillée et des latrines. Comme un symbole de ce que la République a pu faire de plus sale, restent debout alors que tout le reste autour s’écroule, quelques marches moussues menant à un wc turc bien conservé. La faïence est encore là et en bon état. Les fantômes du passé hantent les lieux, la forêt se fait plus silencieuse et la moiteur pèsent encore plus.

3 marches...
3 marches…

L’état de délabrement du camp montre d’une part la vitesse  à laquelle la nature reprend ses droits en Guyane mais aussi la manière dont est vécu l’héritage historique du bagne sur le territoire. Les vestiges sont abandonnés, oubliés et aujourd’hui la valorisation de ce patrimoine est placé au centre des discussions dans la perspective de développer le tourisme et – paradoxalement – l’attrait du territoire. Dans cette démarche,  le site a été racheté à l’ONF en 2012 par le Conservatoire du Littoral qui espère en faire un des sentiers de randonnée les plus importants de la zone. Et c’est pourquoi, commencera bientôt un chantier-école de mise en valeur du site. D’ailleurs, il manque 40 000 euros sur les 200 000 que celui-ci coutera pour finaliser le budget et une suscription a été lancée par la Fondation du Patrimoine. Si vous souhaitez participer, ça se passe là (déduction des impôts possible). Les travaux auront lieu durant la saison sèche et s’étaleront sur plusieurs années.

Le bagne ferme ses portes en 1946, et les derniers prisonniers et survivants du bagne des Annamites partent s’installer à Cayenne et constitueront le fameux Quartier Chinois.

 


 

Pour y aller:

Sur la RD 5, 15km après Montsinnery

45mn de marche sur un terrain facilement boueux (préférez d’y aller en saison sèche). Il y a des restes de cailleboutis de la précédente mise en valeur dans un piteux état. Arrivé à la voie ferrée, le bagne se trouve sur votre droite.

Si vous continuez le long du chemin de fer, vous arriverez après 45mn supplémentaire à la crique anguille où vous pourrez vous rafraichir en vous y baignant.  Un joli endroit pour y pique-niquer. Attention toutefois aux raies. Cette deuxième partie du sentier est plus ardue avec notamment des criques à enjamber sur des troncs d’arbre et toujours des cailleboutis bien abimés.

1: les dates varient en fonction des sources. On parle d’une arrivée à Cayenne le 30 juin 1931 après 45 jours de traversée.

wc
wc
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  1. bonjour les Guyanais .Il n’y a pas que votre lieu de résidence actuel qui a eu le triste privilège “d’héberger ” des anamites(à ne pas confondre avedc les amanites en cette période d’intense activité mycologique).
    A Saint André de Buèges nous avons eu aussi “nos anamites” .Ils ont succédés aux ” chantiers de jeunesse” .
    C’etait un erzat de service militaire que la france “offrait” aux jeunes gens en age de le faire mais dont elles n’avait plus (déjà) les moyens materiels pour entretenir une véritable armée.
    Donc des “anamites” ont habités à saint andre sur la route menant à St Jeande Buèges .Il s’agissait de batiments en briques erigés sur des soubassements en pierre.
    Ces batiments qui etaient au nombre de cinq sont tombés en ruine envahis par les ronces.Seuls quelques souvenirs et anecdotes plus ou moins déformés ont surnagés.
    Il y a environ un an (mais le temps passe si vite) que la section photo de la BN dans le cadre d’une expo sur le colonialisme avait évoqué cette page de notre histoire

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