A la base du système esclavagiste et de l’économie des colonies, il y avait l’habitation, l’exploitation agricole des plantations dont la main d’oeuvre était composé d’esclaves. A ce petit jeu du développement économique basé notamment sur la culture de la canne à sucre, la Guyane a moins bien réussi que les autres « vieilles » colonies françaises: la Guadeloupe, la Martinique et la Réunion. Aujourd’hui encore, les conséquences de cet échec se font ressentir avec une industrie de la canne à sucre peu ou pas développée. Pour preuve, en métropole, il est rare de trouver du rhum La Belle Cabresse dans les rayons.
Plusieurs raisons peuvent expliquer les problèmes de développement qu’a connu le territoire au XVIIème siècle. La faute incombe d’abord au climat, alternant de fortes chaleurs avec des pluies diluviennes, un climat caractériel et imprévisible qui rend l’agriculture difficile. Mais surtout, le facteur qui empêche le décollage économique de la Guyane au XVIIème siècle est la pauvreté et l’acidité du sol guyanais qui impacte directement la qualité du sucre produit. Les pains de sucre expédiés vers la métropole arrivent souvent sous forme de mélasse. Les premiers colons furent leurrés par la luxuriance de la forêt amazonienne et crurent que tout pouvait pousser. De plus, la concurrence entre colonies est intense, et à cette époque, Saint Domingue a toutes les faveurs des marchands. Ceux-ci découragés par la médiocre qualité du sucre guyanais ne s’aventurent que rarement jusqu’à Cayenne. La colonie se retrouve ainsi à l’écart des grandes routes commerciales. On manque alors d’esclaves pour développer les plantations, habitations qui ont donc du mal à devenir rentables et à attirer les marchands. La boucle est bouclée. Dans cette morosité ambiante, il faut cependant remarquer une réussite, celle de l’habitation Loyola, une possession jésuite.
Les jésuites sont là quasiment dès le début de la colonie, ayant au fil du temps acquis le monopole de la spiritualité sur le territoire. En 1665, ils rachètent la concession de Quincy puis celle de Drago et se lancent dans les affaires. La viabilité de l’habitation est d’autant plus importante que les bénéfices dégagés permettront l’évangélisation des « sauvages » et le financement des missions en territoire amérindien.
Leur connaissance de l’économie coloniale ainsi que les moyens colossaux dont ils disposent leur permettent rapidement de développer l’habitation Loyola. Au plus fort de son activité, l’exploitation couvrira 1500 hectares et exploitera 500 esclaves. Il y aura en tout cinq habitations jésuites sur le territoire mais c’est celle de Loyola, du nom du fondateur de l’ordre des jésuites, qui concentrera toutes les réussites. Elle produit la plus importante quantité de sucre de la colonie, la moitié du café et la quasi-totalité de l’indigo. Au XVIIIème siècle, ce sont les jésuites les véritables maitres de la Guyane. L’habitation devient le lieu de passage des invités de marque (Charles Marie de la Condamine y séjournera). Sise à flanc de colline, elle domine la plaine et les champs de canne à sucre. Autour du bâtiment principal, se dressent un hôpital, une cuisine pour nourrir les esclaves (une des dispositions du Code Noir), une chapelle et son cimetière et une forge. Celle-ci approvisionne en outils les autres habitations tandis que la poterie qui se trouve dans la plaine les fournit en contenants pour le sucre. En contre-bas de l’habitation, plus qu’une simple rue case nègres, un véritable village accueillent les 500 esclaves. Sur le domaine, on trouve aussi un vinaigrerie où est produit le tafia (un alcool de sucre de canne de mauvaise qualité), une sucrerie et une indigoterie.
En 1730, les jésuites se dotent du nec plus ultra pour moudre la canne à sucre et en extraire le jus et par la même en profitent pour afficher à la face de tous leur éclatante santé financière: ils construisent un moulin à vent.
Sur le siècle qu’ont passé les jésuites en Guyane, seule une centaine aurait transité par le territoire. Ils n’auraient donc jamais été plus d’une dizaine en même temps pour diriger ce domaine. Ce nombre laisse pantois si on le mets en regard de l’importance de l’habitation.
En 1763, la compagnie de Jésus est dissoute par le roi et les habitations sont vendues aux enchères. Loyola sera progressivement abandonnée jusqu’en 1769, où elle sera laissée à l’abandon définitif. Ce n’est qu’en 1988, qu’elle est redécouverte sous la végétation. Des fouilles archéologiques sont entreprises en 1994 et permettent de redécouvrir l’histoire de ce patrimoine oublié. Le moulin, preuve que l’investissement était bon, tient encore debout. Les ruines sont aujourd’hui entouré d’arbres appelés bois diable…
Note : Nous vous conseillons de lire la bd de Patrice Pellerin : L’épervier (7 tomes) qui se passe en Guyane et dont certaines cases donnent vie à l’habitation. Illustrations qui sont régulièrement reprises dans n’importe quel article traitant de l’habitation dont celle en une de cet article.
12 comments
Très intéressant comme article. Je ne savais pas que la Guyane avait moins bien réussit que les autres colonies françaises.
Tunimaal Articles récents..Que faire et que visiter à Tokyo : guide et conseils
Merci pour cette petite touche d’histoire. Je ne savais pas qu’il y avait autant de richesse historique ici
@Tunimaal – Et si… il y a plein de facteurs pour expliquer ce manque de réussite, le principal étant la difficulté à peupler ce territoire.
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