L’observation de la ponte des tortues luth ou des émergences est un exemple de la cohabitation entre animal et êtres humains. Les sites de ponte, et donc d’émergence, ne se situent pas dans des endroits difficiles d’accès ou éloignés des centres urbains. Au contraire, elles ont lieu sur les plages les plus fréquentées, en tout cas pour l’île de Cayenne. Et c’est souvent au milieu de scènes de loisirs, que viennent s’inviter les bébés tortues luth. Il y a nombre d’anecdotes à ce sujet : « j’avais à peine posé ma serviette sur la plage, que j’ai senti bouger en dessous de moi, des bébés luths venaient me rendre visite » « nous étions autour d’un feu de camp, quand au milieu des braises, nous avons vu apparaître des bébés tortues », etc. Sauf quelques cas isolés (braconnage des œufs), les guyanais ont beaucoup de respect pour ces tortues qui font partie intégrante de leur environnement et de leur culture.
L’accompagnement des bénévoles de Kwata est toutefois nécessaire pour faire respecter les consignes de base afin de ne pas trop perturber ces tortues marines : comme par exemple ne pas prendre de photos avec flash qui risquent d’aveugler ou de désorienter les tortues, étant plus habituées aux profondeurs marines qu’à la luminosité de la surface terrestre. Il convient également de rester à bonne distance des tortues lorsqu’elles entreprennent leur ascension sur la plage : le moindre obstacle sur leur route leur fera faire demi-tour, ce qui pourra être fatal pour les œufs. Comme pour les êtres humains, il ne faut pas créer de situation de stress pour la tortue qui pourrait perturber sa ponte (comme la toucher, monter dessus, etc.). Enfin rester à bonne distance également du trou qu’elle creuse pour y pondre ses œufs afin de ne pas provoquer d’effondrement. Dernière consigne : ne pas les observer avec une lampe frontale. L’association Kwata fournit des autocollants filtres rouges à coller sur la lampe pour atténuer la lumière blanche agressive des lampes de poches. Si toutes ces précautions vous ennuient: programmer une soirée d’observation pendant la pleine lune permet de distinguer facilement l’animal et donne un aura supplémentaire de mystère autour de ce miracle de la vie. Pour les photographes : certaines tortues viennent pondre à l’aube, quand il ne fait pas encore trop chaud. C’est par ces gestes simples que tout un chacun peut devenir acteur de la conservation de cette espèce menacée.
Cette observation est aussi des plus démocratiques : pas besoin de guide ou d’équipement particulier pour s’intéresser à ce reptile. Elle nécessite juste un peu de patience et le sens de l’observation dans la nuit. Beaucoup de guyanais l’ont d’ailleurs bien compris, puisque pendant la saison des pontes c’est plus d’une centaine de personnes qui patientent chaque soir sur les plages de Rémire-Montjoly dans l’attente d’une tortue luth.
Cette « cohabitation » est somme toute récente, car ce n’est qu’à partir des années 70 que l’on a commencé réellement à s’intéresser à cette plus grande tortue marine. On s’est alors rendu compte que le plateau des Guyanes (comprenant la Guyane Française, le Guyana et le Surinam) faisaient partie des sites de ponte les plus importants sur le plan mondial. Auparavant, c’était l’indifférence qui régnait, voir plutôt une légère exploitation de ces tortues (œufs pour se nourrir, viande pour l’administration pénitentiaire ou devant servir comme appât pour la pêche aux requins). Aujourd’hui, cette espèce est considérée comme en danger critique d’extinction, d’où les efforts de tout le monde à son égard… Selon l’association Kwata la situation s’est nettement améliorée depuis le début des années 2000 pour les tortues luth qui voient leur population augmenter. Encore quelques saisons de ponte à observer !