Coincé entre la Chine, la Corée du Nord et le Japon, dans l’extrême-orient russe, nous avons eu envie de vérifier si Vladivostok faisait bien partie de la Russie. Nous nous y sommes donc rendus depuis Pékin, après une nuit de train et 12h de bus. Un petit détour sur notre chemin de retour en Europe! Nous nous étions laissé guider par notre imaginaire, lui-même bercé par la résonance de ce mot, parmi les destinations les plus mythiques de notre planète. Nous pensions y découvrir une population melting-pot ainsi qu’une architecture métissée… La réalité est parfois bien différente.
Ce détour avait aussi pour objectif d’emprunter le célèbre chemin de fer “transsibérien” dans son intégralité. Depuis sa ville d’arrivée (Vladivostok) jusqu’à sa ville de départ (Moscou), soit plus de 9 000 km et 7 jours de train!
Le passage de la frontière terrestre entre la Chine et la Russie nous annoncera la couleur de ce qui nous attendait à Vladivostok: abandon, désolation, grandeur passée. On peut affirmer qu’en 16 mois de voyage, nous en avons traversé des frontières! Et bien, c’est la première fois que nous nous étonnons d’autant de changements “brusques” à un passage de frontière. Ce n’est pas tant le paysage qui change, mais le décor humain, qui se métamorphose du tout au tout (ou plutôt “ au rien”). D’un côté, la Chine, un pays prospère, en chantier permanent, dont la population sympathique rayonne d’une joie de vivre, qui symbolise l’espoir et la confiance en l’avenir, de l’autre côté, un pays en crise, la Russie, abandonné, sans utopie et dont la population porte sur son visage fermé et peu amène le poids des années de souffrance et de frustration.
Le paysage qui défile alors sous nos yeux les derniers kilomètres confirmera cette impression de désolation, car, au sortir du dégel, la terre n’a à offrir que la couleur jaune passée d’une herbe emprisonnée pendant de long mois. Pour couronner le tout, les paysans du coin pratiquent l’écobuage, en brulant cette paille improductive, qui ajoute à ces couleurs mornes de fin d’hiver, une teinte noire de mauvaises augures.
Dans n’importe quelle ville du monde, il n’est jamais plaisant d’arriver la nuit. Vladivostok ne fera pas exception. Alors que notre taxi roulait en trombe en faisant tours et détours dans la ville, on se demandait bien dans quel quartier sordide on allait débarquer. Le verdict ne fut pas long à tomber: notre hôtel, au rez-de-chaussée d’un immeuble d’habitation, se trouvait dans un quartier résidentiel aux blocs-immeubles gris, aux trottoirs défoncés, chiens errants et épaves de bouteilles d’alcool. Evidemment, nous n’étions pas au bout de nos surprises quand nous avons découvert notre hôtel. Après avoir franchi la porte blindée, une très jolie femme au large décolleté nous attendait au bout d’un long couloir, aux lumières tamisées. Alors qu’elle nous faisait patienter dans une chambre, quelle ne fut pas notre surprise d’y découvrir une décoration franchement osée! A la réception, encore, plutôt que de vendre les nécessaires d’hygiène pour voyageurs étourdis, on y vendait plutôt d’autres objets indispensables pour amoureux transits… Sans oublier le solide stock de vodka dans le frigo du corridor. Etions-nous tombés dans un hôtel de passe? Réservé sur internet via un site archi-classique et connu, nous ne pouvions douter de l’objet réel de l’établissement. On peut dire que nous aurons été plongé, sans préparation aucune, aux divertissements russes!
Finalement la nuit fut très calme, et nous n’aurons pas vécu d’aventures particulières dans cet hôtel à la décoration pour le moins originale… Par contre, même à la lumière du jour, le quartier demeurait sordide à souhait. Vite, s’échapper vers le centre-ville! Nous nous trouvions juste en face, malheureusement séparé par une anse d’eau qui s’échappe vers le Pacifique. Un gigantesque pont est d’ailleurs en construction, démontrant, bon an mal an, que Vladivostok n’est peut-être pas si condamné que ça sur le plan économique.
Alors que nous nous demandions si nous n’avions pas eu tort de ne rester que deux jours, la première heure passée à se balader dans la ville aura fini de nous convaincre: à part quelques rues à l’architecture majestueuse, la ville n’a vraiment rien d’exceptionnel… Pourquoi avions-nous tant tenu à visiter Vladivostok? Quelques jours auparavant, rien qu’à l’évocation de ce nom, la magie de l’imaginaire opérait et nous trépignions d’impatience à l’idée que nos pieds allaient fouler cette ville. Finalement, qu’avons-nous devant nos yeux? une ville parmi tant d’autres dans le monde, avec ses habitants, qui, mène une vie comme tout le monde.
Nos moments forts resteront la découverte d’un bout de mer encore gelée, dont la blancheur éclatante nous avait attiré près de la berge. Armé de pelles pour se frayer un passage dans la glace, les baigneurs du dimanche ne semblaient absolument pas être incommodés par la fraicheur de l’eau. Un peu plus loin, des parents et leurs enfants partageaient la même joie de vivre insouciante et innocente auprès de loueurs géniaux: la voiture pour enfant… télécommandée par les parents! Cette promenade de bord de mer, qui attirait foule en ce dimanche après-midi ensoleillé à la température presque clémente de fin d’hiver, nous a cependant laissé perplexe : était-ce l’effet du temps ou bien de la neige, du gel ou du froid de l’hiver présent qui donnait à la ville cet aspect de cité balnéaire abandonnée?
Nous aurons vite déchanté sur le climat: il faisait très froid. Ce dernier s’incrustait sous les vêtements, aidé par la ténacité du vent marin. Les vêtements d’hiver n’étaient plus relégués aux fonds de la valise, comme un vulgaire poids inutile, au contraire, toutes les couches étaient désormais utilisées. En comparaison de la population locale, nous étions bien ridicules avec nos bonnets et gants, emmitouflés dans nos manteaux coupe-vent. Quelle chance d’avoir changé nos plans et de traverser la Russie en avril plutôt qu’en plein hiver! Qu’aurions-nous fait de nos journées, nous, qui depuis 16 mois, passons la plupart de nos journées en extérieur? Pourtant, il ne doit pas faire si froid car la neige se met à tomber en fine caresse, comme pour signifier que l’hiver n’a pas dit son dernier mot. Elle n’arrivera cependant pas à s’imposer sur l’asphalte mais terminera de nous transformer en glaçon!
Cela ne nous empêche pas de continuer la promenade vers un point de vue sur le port de commerce. Sur une petite colline au milieu la zone urbaine, nous nous exposons plus au vent et à la neige, mais la vue sur l’anse de Vladivostok en vaut la chandelle. On est aussi surpris de l’étendue de la ville, en comparaison à la taille de son centre-ville. Nous ne sommes pas les seuls à chercher un horizon, dans cet océan de blocs-immeubles: des amoureux profitent du paysage, bien au chaud, dans leur voiture.
Le lendemain, une autre expérience étonnante nous attendait. De façon à avoir un autre point de vue sur la ville, nous empruntons un ferry local qui assure les liaisons quotidiennes avec une petite île proche de Vladivostok. Ce dernier, à l’allure pourtant fébrile sous le poids des années, s’est transformé en brise-glace au milieu d’une banquise en miettes. Le spectacle fut fort en secousses légères et bruits sourds de brisement de banquise. Nous partagions le pont avec des pêcheurs, dont l’équipement contre le froid nous donnait l’impression qu’ils débarquaient du pôle Nord. Cela s’explique par le fait qu’ils restent toute la journée sur la mer gelée à attendre le poisson, auprès d’un trou fait dans la glace.
Enfin, le meilleur pour la fin: la gare! Majestueuse, avec ses fresques sur les murs et son architecture néo-classique. Quel contraste avec le reste de la ville! Voilà qui nous confirme que cette gare demeure un vecteur essentiel du pouvoir central moscovite à travers toute l’immensité de son territoire. En somme, c’est l’image de l’Etat, situé à 9 000 km de là, qui est en jeu auprès d’une population qui est plus proche de Tokyo ou Beijing que de Moscou!
Avec son architecture soviétique ou néo-classique du XIXème siècle, nous sommes convaincus que Vladivostok fait bien partie de la Russie. Quant au métissage de sa population, il n’en est rien. Il est clair que dans sa conquête de l’Est, l’empire russe ne s’est pas contenté de planter des drapeaux, mais a réussi à peupler ces terres isolées de bons moscovites. D’ailleurs, nous nous demandons, si, comme en Australie, les habitants de Vladivostok cherchent à effacer de leur généalogie leurs ascendants exilés de force en extrême-orient pour quelques obscures raisons.
Vladivostok est donc plus une destination en soi qu’une ville où se poser, flâner et y passer du temps! Mais de cette expérience, nous apprendrons à ne plus nous laisser berner par notre imaginaire! Quoique… à l’évocation d’autres destinations mythiques (comme Zanzibar, Tombouctou, Ushuaia, Le cap de bonne espérance, et tant d’autres) notre instinct voyageur est immédiatement titillé…