La première partie du récit ici
Sur le mur du wagon est affichée la liste des arrêts avec les arrêts et les temps de pause. Outre l’exercice intellectuel que représente la concentration pour lire le cyrillique, cette feuille nous sert de boussole et nous permet de nous repérer sur notre itinéraire. A l’approche de chaque nouvelle ville, nous plongeons le nez dans notre guide pour faire connaissance avec ces villes que nous traversons et qui ne resterons que des noms couchés dans un livre. Petit à petit, nous restituons mentalement une image de l’histoire et de la vie de l’extrême-orient russe. Des isbas (maisons en bois), une rue et une place Lénine, un explorateur russe en goguette dans le quartier à la fin du XIXème siècle et un peu de révolution communiste. Industrie du bois, de l’armement, hiver rude…
Une lada sans âge s’engage dans une course effrénée
Les villes traversées ne nous font pas plus d’effet que des baraques en bois clairsemées en rase campagne. Quelques rares chanceuses se sont vues doter de ces immeubles rigoureux si chers à l’architecture communiste. Le dénuement se fait sentir et plus qu’ailleurs, le sentiment d’être loin de tout, abandonné au milieu de nulle-part, loin du pouvoir central. Pour rajouter à la touche pessimiste, les rues sont pleines de boue, car nous sommes en période de dégel. Parfois sur la route qui longe la voie ferrée une lada sans âge s’engage dans une course effrénée perdue d’avance avec le train. A d’autres moments sur la rivière gelée en contre-bas des rails, un camion puissant transportant du bois s’essaie à l’exercice avec plus de succès.
Nous effectuons la première moitié du trajet avec un couple de petits vieux, Notre pratique du russe n’en étant qu’à ses débuts, les conversations ne vont pas bien loin, à la différence du train. Les gens montent, descendent, rares sont ceux qui prennent le train de bout en bout. Nous les débarquerons au milieu de la nuit dans une ville anonyme. L’expression prendre le train en marche n’a jamais été aussi vraie.
Seule Irina, 7 ans, n’en a que faire de la barrière de la langue
Nous pensions gagner au change quand le matin au réveil nous découvrons deux jeunes russes en lieu et place de notre couple de retraités. Malheureusement, l’anglais n’est pas leur fort et nous échangeons encore moins de mots. Dans le wagon, seule Irina, 7 ans, n’en a que faire de la barrière de la langue et nous avons droit à voir sa collection de coloriage. Elle s’embête, le voyage est trop long et ce, malgré la bonne volonté de sa babouchka. Une autre voisine pénètre notre compartiment pour nous remettre deux magnets de sa ville puis s’efface avant que nous ayons eu le temps de comprendre ce qu’il nous arrivait.
Sur la majeure partie du trajet, nous longeons la frontière chinoise. Il fut un temps où dans certaines parties du parcours il fallait voyager les rideaux baissés pour éviter la tentation d’espionner la frontière et sans doute les forces armées en présence. A Khabarovsk, nous traversons l’Amour, ce fleuve au nom évocateur. Plus loin, nous quittons l’extrême-orient pour pénétrer en Sibérie. A Tchita, nos rails rejoignent ceux du transmandchourien, l’itinéraire qui rejoint Pékin par la Mandchourie. A Oulan-Oude, c’est sur les traces du transmongolien que nous roulons (Moscou – Pékin via Oulan Bator). Si géographiquement nous nous repérons, nous sommes temporellement déphasés. Les horaires du train ainsi que les pendules des gares sont à l’heure moscovite, soit 9 heures de moins qu’à Vladivostok. Un exercice, véritable jonglerie mentale s’est mis en place pour tenter de nous repérer car avant d’arriver à Irkoustk nous devons traverser quatre fuseaux horaires. Nous définissons arbitrairement une heure pour organiser nos repas et pour le reste des activités nous nous fions à l’heure de Moscou. Cependant quelque soit l’heure que nous utilisons, le train n’a pas une minute de retard sur l’ensemble du trajet, soit près de 70h.
Nous arrivons finalement à Irkoustk
Enfin au matin du troisième jour, nous découvrons l’éclatante blancheur du lac Baïkal. Sur les 4000km qui nous séparent de Vladivostok s’étend un morne paysage. Au sortir de l’hiver, la terre est encore brulée par tout ces mois passés sous la neige et n’a pas encore repris de ses forces. Le printemps ne s’est pas installé dans cette partie du monde, les arbres des forêts rencontrées en chemin ne se sont pas parés de leurs feuilles. Si le paysage n’est pas plat, il n’en est pas plus escarpé, de sorte qu’une ligne d’horizon est toujours visible. Le lac Baïkal brise cette monotonie et nous passons le reste du voyage collés à la vitre. On a peine à croire que cette vaste étendue de glace est un lac, on se croirait plutôt sur un salar.
Quelques heures encore et nous arriverons finalement à Irkoustk.