La route Haerbin - Vladivostock
La route Haerbin – Vladivostock

La ruée vers le far-east

La route vers le far-east passe par Haerbin pour arriver jusqu’à Vladivostock, 12h de bus à travers un paysage monotone avec l’angoisse du passage de frontière.
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Dernier jour en Chine, il est temps pour nous d’honorer notre visa russe et de traverser la frontière afin de rejoindre ce nom évocateur qu’est la ville de Vladivostock. Il est des noms comme ça qui pousse à voyager, qui représente l’appel du voyageur à prendre le large. On ne sait pas trop bien ce qui se cache derrière mais un jour il faudra y aller pour voir et se faire sa propre idée. Ushuaia, Zanzibar et Vladivostock font partie de ceux-là. Pour la dernière citée, le jour est arrivé. A la gare routière de Haerbin, tous les panneaux sont en chinois ou en russe, histoire de nous préparer à ce qui nous attends.

Le bus roule vers son destin, en l’occurrence celui-ci est lié au notre pour la journée. Le paysage est morne, peu de relief et encore moins de végétation, seule une herbe jaune semble décider à pousser dans la région. Il y a peu ce devait être de la neige à perte de vue. Suifenhe notre dernière étape chinoise avant de quitter le territoire fait honneur à son statut de ville frontière. Il doit exister une charte d’urbanisation pour ce genre de localité. Une ville-frontière se doit avant tout d’être fonctionnelle, et toujours montrer un petit air de désolation afin de ne pas trop encourager les gens à venir. Mais comme partout ailleurs en Chine, les grues sont en action et remodèlent le paysage urbain. D’ici quelques années, Suifenhe sera aussi doté de ses buildings à 40 étages et la ville au bout de la route sera alors un véritable centre d’affaire. A la gare routière, des mini-bus déchargent des wagons de russes venus faire leurs courses ici, suivis ou précédés par des remorques de bagages. Au sous-sol de la station de bus, c’est la première fois que nous rencontrons un centre commercial dédié au bricolage : carrelage, pommeau de douche, wc etc etc… Les vendeurs nous parlent en russe, c’est peine perdu pour eux, autant rester au mandarin et puis de toutes façons, nous ne cherchons que les toilettes.

La route Haerbin - Vladivostock
La route Haerbin - Vladivostock

La route continue encore quelques kilomètres avant d’arriver au poste frontière chinois. Le paysage ne fait pas d’efforts, au contraire même. Le passage des frontières est toujours un moment charnière dans un voyage. Le genre de moment où l’on se sent coupable même si l’on n’a rien à se reprocher face au regard inquisiteur du douanier. Il existe cette appréhension de ne pas avoir le justificatif nécessaire ou de ne pas avoir rempli une obscure formalité. La toute jeune douanière chinoise passe une à une toutes les pages de notre passeport, que peut-elle bien chercher en scrutant tous ces tampons qui ne lui disent sans doute rien. Nous avons bien le tampon d’entrée sur le territoire chinois et avons respecté la durée qui nous avait été donnée. Pourquoi faut-il ce suspense avant de tamponner le cachet de sortie du territoire ? Les douaniers collectionnent-ils mentalement les tampons des pays visités par ceux qu’ils contrôlent ? Est-ce tout simplement de la curiosité ? Ou une sorte de magie divinatoire à base cachets ? Elle fait appel à son supérieur. Une goutte de sueur perle sur notre front, les choses se compliquent. Les secondes deviennent des minutes. On sent la grogne des gens qui patientent derrière. Le bus attendra-t-il ? Et les deux à parlementer, à disséquer les feuilles du passeport. Faire appel au chef est toujours signe de complications à venir. Que peut-il bien se passer ? Mais sans aucune autre explication, le tampon chinois vient enfin caresser les douces feuilles du passeport français. Délivrance. Pour nous changer les idées, nous sommes invités à traverser le magasin duty free, on reconnaît bien la touche de communisme consumériste chinois. Nous voici, dans le no man’s land, ce purgatoire entre deux pays. Qu’arrive-t-il si on nous refuse l’accès à la Russie pour X raisons. Ne pouvant plus re-rentrer en Chine puisque nous n’avions qu’un visa simple entrée, sommes-nous obligés à errer pour le restant de nos jours dans cet entre-deux ? A vivre de l’aumône des cars de touristes russes.

La route Haerbin - Vladivostock
Monotonie qui n'inspire pas...

Le poste de frontière russe est à l’horizon. Le paysage se fait plus lugubre qu’il ne l’est: ciel gris, corbeaux, déchets sur le bas-coté, grillages et de maigres arbres qui attendent le printemps pour bourgeonner. De nouveau à faire la queue. Le va-et-vient des russes qui chargent et déchargent leurs achats telles de petites fourmis afin de passer les contrôles nous détend. Et nous voilà une nouvelle fois avec une maniaque du tampon, la russe comme son homologue chinoise passe toutes les pages mais cette fois-ci dans une machine (un détecteur à faux tampon?). Moins de suspense que du côté chinois alors que logiquement ça aurait du être le contraire. On a toujours plus de réticences à accueillir des étrangers plutôt qu’à les voir partir. Sur le parking, nous ne sommes pas les derniers pour une fois. Nous attendons encore le groupe de musiciens chinois, celui qui par sa joie de voyager répandait une bonne humeur tacite dans le bus, comme une sorte de petite musique entrainante. Une heure se passe sans qu’ils ressortent du poste. Les chauffeurs trépignent d’impatience, il va falloir ne pas tarder car il reste encore un peu de route. Finalement, nous partons sans eux. C’est la consternation dans le bus, mais malheureusement nous ne pouvons pas communiquer et échafaudons les pires scénarios.

Jamais depuis le début du voyage, frontière n’a porté aussi bien son nom. En l’espace de quelques heures, nous sommes passés du monde asiatique à celui caucasien, des idéogrammes au cyrillique. Jusqu’à présent il y avait eu une certaine continuité dans le passage de frontière. En Amérique du Sud, la langue est la même et les populations se ressemblent fortement. En Asie, il y a peu de différence de Singapour à la Malaisie, puis de la Malaisie au Sud de la Thaïlande. Ici, outre l’écriture, les visages ont changé du tout au tout. Comme quoi,un malheureux grillage a beaucoup d’effet. C’est d’autant plus surprenant que l’histoire dans cette partie du monde est faite d’imbrication. La Russie a possédé la région d’Haerbin jusqu’après la fin de la seconde guerre mondiale tandis que la Chine a encore des visées sur Vladivostock. Seul le paysage affiche cette monotone continuité.

La petite musique s’est tue, l’autoroute chinoise a fait place à une route cahoteuse et dans la nuit tombante, des feux rougeoient dans le lointain. Est-ce une résurgence de la politique de la terre brulée ? Des images de ce que Napoléon a du rencontrer remonte à la surface de notre imagination. Nous sommes en Russie sur la route pour Vladivostock.

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