Avant de visiter Macao, nous avions en tête l’ancienne concession portugaise rétrocédée à la Chine en 1999. Une architecture occidentale en bordure de l’empire du Milieu. Une intrusion culinaire portugaise à partager avec le riz quotidien. Un ilot catholique entouré des fumées d’encens des temples chinois, entre autres images d’Epinal.
Quelle ne fut pas notre surprise de découvrir ce Las Vegas oriental! La vieille ville, ses églises et ses maisons portugaises sont devenus une attraction secondaire comparée aux multiples casinos qui ont fleuris sur des terres gagnées sur la mer!
Pas moins d’une trentaine de casinos (et encore quelques uns en construction). 25 millions de joueurs (euh touristes) en 2010. 23,5 milliards de US dollars de chiffre d’affaires en 2010 (supérieur à celui de Las Vegas). En résumé, les quelques chiffres-clés à connaitre pour présenter cette ville surréaliste (à nos yeux), détenant récemment le titre de “capitale mondiale du jeu de casino”. Et, même si l’on est indifférent aux amusements d’argents, il est impossible de ne pas faire un tour dans une de ces maisons de jeu.
Surej, notre couchsurfer de Macao, aura été notre guide dans l’antre de la bête! Il travaille comme consultant IT dans un des casinos de la ville. Australien, il a été envoyé par sa boite pour développer un nouveau casino ouvert il y a 5 ans maintenant. Au départ, embauché pour 3 mois, il y reste depuis… Pourtant, il déteste les jeux d’argent, et s’ennuie extrêmement rapidement quand il met les pieds dans une salle… Mais, pour ce grand voyageur, il trouve Macao “central” et à proximité de tout. C’est sur que depuis son île-continent, les distances ne sont pas les mêmes!
Les entreprises étrangères ont commencé à s’intéresser à Macao depuis l’ouverture à la concurrence de cette industrie en 1999. Il faut dire que la proximité de la Chine continentale est alléchante: un marché intérieur estimé à plus d’une centaine de millions de consommateurs! D’autant que les jeux d’argent sont interdits en Chine et que les chinois en raffolent. La clientèle des casinos de Macao est donc majoritairement chinoise. De plus, les chinois qui fréquentent Macao sont des clients rêvés, ils sont exclusifs: ils ne s’intéressent qu’aux jeux, contrairement à Las Vegas, où le chiffre d’affaires est partagé entre les recettes casinos et les loisirs. A la sortie du terminal de ferry, un parc d’attractions avait vu le jour mais a fermé depuis par manque de visiteur. Comme à Las Vegas, le “cirque du soleil” proposait un spectacle permanent … jusqu’en février 2012 par faute de spectateurs.
En somme, Macao c’est le lieu du libertinage par excellence. On y fait tout ce qu’on n’a pas le droit de faire en Chine continentale! Autre exemple: la prostitution. Elle est interdite dans les deux territoires… mais officieusement tolérée à Macao. Aussi, comment attirer les riches chinois sans proposer quelques “à-côté”? Et si vous ne nous croyez pas, allez donc trainer dans le hall du plus vieux casino de Macao (le Lisboa) et participez au spectacle du “chicken run” (appellation locale). De très jolies femmes, en petites tenues, s’affichent devant un parterre de chinois bedonnant. Elles marchent très rapidement, pour ne pas montrer qu’elles racolent, mais, au contraire ne font que se promener d’un pas décidé avec leur copine… Assez édifiant!
Quant à la plaque tournante de blanchiement d’argent sale… nous n’en saurons heureusement rien. Simplement des rumeurs par ci-par là véhiculées par notre ami Surej: des fonctionnaires chinois venant jouer leur pots-de-vins, la pègre hong-kongaise blanchissant son commerce de drogue, etc. Pour notre part, nous n’avons jamais vu autant de boutiques de montres qu’à Macao. Et des concessionnaires de grosses voitures, n’en parlons pas! La combine étant d’acheter une montre à Macao avec de l’argent sale pour se la faire rembourser dans une boutique identique ailleurs dans le monde: joli tour de passe-passe!
Nous avons aussi retenu le côté clinquant de l’entreprise. Par exemple, un casino sur l’ile de Taipa, a carrément reproduit, en carton pate, mais en grandeur nature, des monuments de la place Saint-Marc de Venise! Il faut croire que cela fait “vrai” car le dimanche constitue un véritable défilé de futurs-mariés, qui se prennent en photo devant ces bâtiments, au style tellement “européen” (en Chine, les futurs mariés font des photos de mariage bien avant le mariage officiel. Il faut changer plusieurs fois de tenues, loués auprès d’agences de photos. Les photos seront ensuite compilées dans un “book”). Le soir, un autre casino propose un spectacle de jets d’eau avec en fonds sonore une musique de western américain! Bref, chaque casino regorge d’inventivité pour attirer l’oeil du joueur…
Lugubre à souhait, glauquissime par excellence, mais également très “kitch”, Macao vaut cependant le coup d’oeil, ne serait-ce que pour capter cette ambiance particulière: à 10h du matin, les casinos sont déjà (ou encore?) pleins. Les joueurs blafards (de ne pas avoir fermé l’oeil de la nuit ou d’avoir perdu trop d’argent?), la clope entre les dents, misent des sommes astronomiques sous le regard indifférent des croupiers. Il ne faut surtout pas se fier aux apparences: un joueur à l’allure rustre, balance négligemment sur une table de jeu une liasse de billets dont la somme atteint 30 000 dollars hong-kongais (3 000 euros!). Pourtant, nous n’étions pas dans l’espace réservé aux gros joueurs (sans parler des VIP qui sont invisibles du joueur “lambda”). Le tout arrosé de quelques boissons non alcoolisées et autres sucreries, offerts par la maison!
Les salles de jeux sont partagés équitablement entre tables et machines à sous. Les tables ont plus attiré notre attention présentant des paris typiquement d’ici. Par exemple, un jeu à base de jets de dés: trois dés sont lancés (automatiquement) et il faut parier sur le nombre qui sortira et/ou sur les combinaisons des dés. Ou encore un jeu de boutons, les croupiers jettent sur la table des boutons et les rassemblent par 4, il faut parier sur le nombre de boutons qui restera. Enfin, un jeu de domino, dont les règles nous sont restées obscures… Pour le reste des jeux plus internationaux, c’est le jeu du baccara qui semble emporter le plus de succès. C’est impressionnant d’observer toute la mécanique du jeu: comment les joueurs découvrent peu à peu les cartes distribuées, en commençant par en corner un bout puis en pliant carrément la carte en deux pour finir par la dévoiler en entier, l’opération prenant bien 30 secondes, histoire de faire durer le suspens… Résultat, il faut changer de jeux de cartes à chaque partie!
Quant aux habitants de Macao dans tout ça? Ils sont 70% à travailler dans un casino! Les entreprises étrangères sont même obligés de recruter des croupiers locaux. Il n’y a pas de chômage à Macao… Ce qui est “drôle” c’est que même en dehors des casinos, l’habitude de parier dans la vie quotidienne est prise. Dans les parcs, les joueurs de cartes ne s’intéressent pas à un jeu si l’on aligne pas des ronds. Dans les entreprises, quand une réunion démarre en retard, il y aura toujours un collègue pour proposer un petit pari histoire de passer le temps. Enfin, on occupe les enfants dans les salles de jeu (pour enfants!) présents… dans tous les casinos!
Et pour les 30% qui ont réussi à s’employer dans un autre secteur, il est tout de même difficile de passer à côté des casinos… A toutes les heures du jour et de la nuit, des bus, appartenant aux casinos, sillonnent les rues de Macao pour charrier les joueurs insatiables, d’un casino à l’autre, d’une île à l’autre (Taipa). Même enfoncées dans les petites rues de la vieille ville, les grandes tours des hôtels étoilés de Macao arriveront toujours à s’inviter en décors de fond. Sans oublier, les centaine de milliers de joueurs, en quête d’une pause salvatrice, qui se pressent dans les rues piétonnes de la vieille ville le week-end.
Et l’ambiance ibérique? Elle existe, étonnamment, dans l’architecture extrêmement bien conservée des bâtiments, que ce soit les églises ou les anciens bâtiments administratifs. Autre réminiscence: la traduction systématique des noms de rues, boutiques et autres panneaux d’affichage en portugais! A croire que tout le monde le parle ? Ce n’est évidemment pas le cas… Nos quelques mots de portugais n’ont eu aucun succès auprès des commerçants chinois, qui parlent cantonais. Alors pourquoi s’acharner? Folklorisme, nostalgie de l’ancienne concession? Nous n’en saurons rien! Le portugais demeure langue officielle et il paraitrait qu’elle domine le domaine des lois. Pas possible d’être avocat à Macao si l’on ne maitrise pas cette langue, nous dit-on. Enfin, des écoles portugaises fonctionnement encore très bien, grâce aux rejetons des lusitaniens installés depuis déjà plusieurs siècles à Macao… Sans oublier.. les fameux “pasteis do nata” (gâteau à la crème d’oeufs), qui sont vendus à chaque coin de rue!