Avec un nom digne d’un manoir de film d’horreur, ce bâtiment de 17 étages réserve quelques surprises au touriste de passage dans la mégapole asiatique. En plus d’un an de voyage, on peut dire qu’on en a croisé quelques uns de ces ghettos à touristes, ces endroits où nous sommes parqués avec la promesse de toutes les facilités. La vie facile. Généralement, il s’agit d’un joyeux mélange d’hôtels pas chers, de bars, de boutiques de souvenirs et parfois d’agences de voyage. Ils se cantonnent soit à une rue (Kao San à Bangkok), soit à un quartier (Thamel à Katmandou) mais jamais à un immeuble. Car c’est là l’innovation de Hong-Kong : l’intégralité des hôtels pour routards se trouve dans cet édifice. Au cœur du quartier – Kowloon – le plus densément peuplé au monde, il a bien fallu trouver une solution et cette solution s’appelle le Chungking Mansions !
Alice plonge délibérément dans le terrier du Lapin Blanc
Si d’apparence extérieure, rien ne le différencie de ses voisins, la même façade sans charme où les climatiseurs ont poussé comme les boutons d’acnée sur un adolescent, les mêmes boutiques à l’intérêt limité au rez-de chaussée, les mêmes néons blafards qui donnent à la nuit des allures de prostitués trop maquillées. Une fois le seuil franchi, Alice plonge délibérément dans le terrier du Lapin Blanc et atterris dans un autre monde. Finies les boutiques de luxe, les éclairages clinquants et les costards-cravates. Ici c’est ambiance scabreuse, lumière glauque. Une foule se masse dans le hall : les uns papotent, les autres guettent le client potentiel. Rabatteurs de toutes sortes se terrent dans l’obscurité, prêts à se jeter sur l’innocente victime au moindre signe de faiblesse pour l’entrainer dans son antre et ne plus jamais la laisser sortir. Vendeurs de téléphonie et restaurants indiens s’entremêlent dans un fatras qui n’est pas sans rappeler certains souks. Dans une cité-état où même les marchés sont policés et propres sur eux, le chaos a repris ses droits dans le hall du Chungking Mansions. Il faut bien lui laisser un peu d’espace pour s’exprimer.
C’est bon savoir si nous échouons à avoir nos visas russes
Dans l’obscurité, des petits business se font et se défont dans les odeurs de cuisine indienne. Il paraît que c’est le meilleur endroit de la ville pour manger des chapatis. On se retrouve dans l’ambiance des pires milieux interlopes, lieu de tous les trafics et de toutes les magouilles. Pour les amateurs de films de gangsters asiatiques. En creusant bien, on devrait pouvoir trouver quelques tripots et un ou deux faussaires de papiers d’identité. C’est bon savoir si nous échouons à avoir nos visas russes.
Petit serait encore un doux euphémisme pour qualifier cet espace
Tous les étrangers, touristes et immigrés, ont rendez-vous au Chungking, lui donnant des faux airs de tour de Babel. D’un côté, on parle urdu, de l ‘autre, maharashtri tandis que des africains s’interpellent en wolof et que des touristes américains racontent leur vacances avec leur plus bel accent. C’est sans doute le seul endroit au monde où les touristes et les immigrés se côtoient autant. D’autant plus surprenant que le reste du temps, ces étrangers nous sont invisibles. Après avoir fait la queue devant l’ascenseur, et s’il n’est pas en panne, s’ouvre à nous le monde merveilleux des auberges pas chères de Hong Kong. L’ambiance est encore plus oppressante qu’au rez-de-chaussée : plafonds bas, absence de fenêtres, il faut cette fois-ci faire confiance aux néons blafards. Le couloir fait office de réception et de salle commune, deux rangées de chaises accueillent les invités. Le reste du couloir sert à faire sécher le linge. Un autre boyau obscur s’enfonce dans ce qui semble être un labyrinthe, la sensation d’être une fourmi ouvrière dans les galeries de la fourmilière. Amis claustrophobes s’abstenir. Mais au moins, ces insectes n’ont pas le mauvais goût d’affubler leurs tunnels de lumières vacillantes dont d’ailleurs une sur deux ne prends même pas la peine de vaciller. Ambiance Shining de Kubrick. Peut-on réellement faire confiance au petit monsieur en pyjama, un cocard à l’oeil qui affirme être le propriétaire ? N’est-il pas plutôt proxénète, faussaire ou esclavagiste ? Quoiqu’il en soit, il ouvre la porte d’un placard, en fait, non, il s’agit bien de la chambre. Petit serait encore un doux euphémisme pour qualifier cet espace. Et avec aplomb et sérieux, il nous annonce un prix qui nous permettait de vivre une semaine au Népal. Nous nous retenons de lui éclater de rire, sans doute un rire nerveux. Bref, nous en sommes à devoir sortir de la pièce pour pouvoir ouvrir nos sacs : il y a juste la place du lit qui n’a même pas la taille officielle d’un lit double.
En ouvrant la fenêtre , le mur d’en face – très proche – nous renvoie notre dépit et une bouffée de relents de cuisine indienne à tout de même pu s’iniscer à l’intérieur : comme si nous en avions la place ! Derrière un rideau de bain se cachent très bien une toilette, un évier et un pommeau de douche. Pour une fois, la propreté des draps n’est pas notre principale source de préoccupation. Et ils ont beau être affublé d’un joyeux personnage pour enfants nous ne leur prêtons guère d’intérêt. Nous avons enfin trouvé un hôtel qui ne donne pas envie de flemmarder au lit ou dans la salle commune, c’est encore le meilleur moyen pour partir à la découverte de la ville et de passer ses journées à arpenter les rues. La descente par les escaliers est une véritable descente aux enfers : les poubelles s’amoncellent dans l’attente du ramassage. On n’imagine mal le résultat quand en été, il fait 45C et 90% d’humidité à l’extérieur.
La place fait tellement défaut à Hong Kong qu’il existe des maisons-cages pour les plus pauvres. Pour repousser les limites de la densité (et du sordide), des lits grillagés sont loués 130 Euros par mois et font donc office de maison. Il en resterait encore une centaine en activité dans la mégapole. C’est bien ce qu’on disait au début, le Chungking Mansions c’est le pays des merveilles d’Alice !
Étonnamment ou non, ce bâtiment fait l’objet d’un article dans wikipédia. A lire uniquement après y avoir séjourné, un peu comme les conseils aux voyageurs du MAE d’ailleurs. Bref, un hôtel où les matins ne sont pas difficiles, le réveil étant même une délivrance.