L’idole des jeunes

Une interruption dans la chronologie de nos articles, pour partager une réflexion sur la manière dont on a été traité la mort de l’idole des jeunes.
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Une de magazines
Une de magazines

Mercredi 5 Octobre, un tremblement de terre secouait l’univers des nouvelles technologies. Le monde, en se réveillant, apprenait la mort de Steve Jobs, le patron emblématique d’une célèbre marque de baladeurs mp3 et de téléphones. En Thaïlande, les magazines firent leur une avec ça, les post-its fleurirent sur les vitrines des magasins , le premier t-shit commémoratif fit son apparition sur les marchés une semaine après.  A priori donc, elle ne laissait pas insensible  une grande quantité de ses clients puisque les grands médias se sont empressés d’ajouter leur voix au concert des pleureuses. Une ferveur populaire à travers le monde s’est fait entendre à l’annonce de sa disparition, lui réservant les honneurs qu’on attribuent (ou attribuaient?) aux plus grands.

Serait-ce la revanche du docteur Frankestein et de tous les inventeurs?

Les post-its ou autres gerbes de fleurs déposés devant les boutiques de la marque sont la preuve du “chagrin” qu’éprouvent les milliers de clients anonymes, utilisateurs de ses produits ,  A croire, que des sentiments se sont tissés entre l’utilisateur et son appareil, et par extension cette relation s’est étendue au Docteur Frankenstein responsable de ces créations. Paradoxalement, dans le roman de Mary Shelley, la créature usurpe le nom de son créateur et même celui de son auteur. Frankenstein est le nom du scientifique et non pas du monstre; et d’autre part, si l’histoire est mondialement connu, on a souvent du mal à se rappeler le nom de l’auteur. Il semblerait qu’on assiste ici au rapport inverse de ce roman gothique: l’inventeur éclipse ses créations. Serait-ce la revanche du docteur Frankestein et de tous les inventeurs?

Et quel sera le prochain patron à avoir droit à un hommage international?

De plus, un nouveau pas a été franchi dans la sacralisation du lieu de vente qui se transforme alors en lieu de culte: une symbolique très forte sur les valeurs que portent aujourd’hui la société “moderne”. On crie au génie  pour un homme qui n’a fait que vendre plus (ou du moins plus chers) des baladeurs mp3, des téléphones, des ordinateurs ou maintenant des tablettes que ses concurrents. On parle de révolution de nos modes de vie parce que maintenant on peut dépenser plus d’argent en applications inutiles pour son téléphone. Sans tomber dans le moralisme, la véritable révolution, ne serait-elle pas l’accès à l’eau potable pour tous? Exit donc les scientifiques, médecins, chercheurs, humanistes, penseurs, et autres grands hommes ou grandes causes, la place est faite pour celui qui saura vendre le plus de trucs inutiles à un prix exorbitant. D’ailleurs, quel est le dernier Grand Homme à avoir bénéficié d’un tel mouvement populaire? Et quel sera le prochain patron à avoir droit à un hommage international?  Bill Gates1? Mark Zuckerberg2 ? Larry Page3? Plus que les marques d’affection montrées, ce qui est dérangeant dans cette affaire est le manque de demi-mesure dans le vocabulaire employé. Avec de telles embardées qui frôlent le lyrisme, on est en droit de se demander ce qu’il se advient dès lors qu’on perde ou se fasse voler le précieux baladeur?

A aucun moment, on ne remet en cause les valeurs d’un tel symbole

On érige ainsi en modèle quelqu’un qui a développé un système économique fermé et contraignant pour l’utilisateur alors que dans la communauté informatique, il existe tellement d’alternatives ouvertes avec pour seul moteur, la bonne volonté (et les connaissances, certes) de partager et mettre à disposition de tout un chacun: logiciel libre, linux, wikipédia etc…Les éditos encenseurs de nos grands quotidiens nous ont poussé à aller voir du côté de l’Humanité, histoire d’avoir un peu d’air frais. Malheureusement, le constat est le même ! Certes, on doit reconnaitre que le contenu est un peu plus édulcoré mais il n’y a pas grandes différences. Pour se donner bonne conscience, on publie parfois quelques articles décrivant le bonhomme comme le tyran mégalomane qu’il devait être, mais ils sont écrits avec tellement peu d’enthousiasme qu’on les classe irrémédiablement dans la catégorie “légende urbaine”. A aucun moment, on ne remet en cause les valeurs d’un tel symbole, rien ne vient égratigner l’image d’épinal du babyboomer post-soixantuitard qui s’est battu contre tous pour imposer sa vision du marché au marché. Bon, on peut au moins, lui reconnaitre qu’il avait raison. D’ailleurs, pour le communiquant qu’il était, il aura même réussi son départ. La veille de sa disparition était annoncée la dernière génération du célèbre téléphone.  Si elle ne suscitait pas l’enthousiasme chez les spécialistes, le téléphone a, 24h après, enregistré le meilleur lancement de l’histoire de la marque, avec le plus grand nombre de pré-commandes. Sans doute, l’ultime hommage qu’on puisse rendre ! En attendant d’aller voir le film de sa vie!

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