Nous nous sommes arrêtés dans l’article précédent alors que l’île de Pâques sombrait dans des guerres tribales mettant à terre le culte des moais. La cause et même la réalité de ces guerres demeurent incertaines mais l’hypothèse que nous avons retenue est celle que développe Jared Diamond dans Effondrement (éd. Gallimard, collection Folio Essai). Pour lui et en se basant sur les dernières recherches scientifiques, la société pascuane aurait commis un écocide, un suicide écologique. Bien sûr, cette thèse est plutôt controversée sur l’île, personne n’aimant entendre que ses ancêtres sont les propres responsables de leur perte.. Dans ce territoire aux dimensions de l’île d’Oléron, il est venu un temps ou les ressources n’ont pas suffi pour subvenir aux besoins de chacun. On parle d’une population de 5000 à 15 000 habitants.Jusqu’alors l’île avait vécu pacifiquement, la quinzaine de tribus qui se la partageait cohabitaient harmonieusement. Mais la pression démographique combinée à une importante déforestation, entrainant elle-même une grave érosion des sols, ainsi que la disparition de certaines espèces animales à cause de la sur-exploitation, exacerbèrent les tensions entre tribus. Le rat polynésien qui embarqua clandestinement sur la pirogue de Hotu Matu’a participa au processus de déforestation en mangeant les graines et par la même empêcher le renouvèlement du manteau sylvestre. De plus, les conditions géographiques (beaucoup de vent, peu de pluie)de Rapa Nui font que les espèces se renouvèlent plus lentement que sur d’autres iles du Pacifique.
Devant l’appauvrissement des ressources, les chefs multiplièrent les efforts pour plaire et attirer les faveurs des Anciens en construisant toujours plus de moais, toujours plus grands. Se faisant, cette “course à l’armement” divin ne fit qu’accentuer la pression sur les ressources sylvestres nécessaires au transport et à l’élévation des moais aggravant à son tour le problème de déforestation. Moins de bois pour une société qui n’a pas accès à d’autres ressources et n’a aucun contact avec l’extérieur signifie une mort à petit feu: pas d’arbre assez costaud pour construire les pirogues pour la pêche, plus de crémation possible, plus d’outils, plus de maison etc etc…Les dernières ressources disponibles ont donc du être la raison d’intenses tensions qui dégénérèrent en guerres tribales. La tradition orale rapporte que devant le manque de denrées alimentaires , les iliens se livrèrent à des actes de cannibalisme. Et quoi de plus démoralisant pour l’adversaire que de voir détruire ses lieux de culte, source du pouvoir de la tribu? C’est ainsi que les moais perdirent la tête.
Sur ces entre-faits, le 5 avril 1722, un dimanche de Pâques, les européens par l’intermédiaire de Jacob Roggeveen découvrirent l’existence de l’île qui désormais portera le nom d’île de Pâques. Ils ouvrirent ainsi la porte à la variole qui continua le travail commencé par les guerres tribales.Les péruviens s’y mirent aussi en 1862 en raflant un millier de pascuans pour les envoyer travailler dans des gisements de guano. Nous autres français participâmes de notre petite contribution lorsqu’en 1870, l’aventurier JB Dutroux Bornier se proclama roi et asservit la population en esclavage pour élever des moutons. Les missionnaires sauvèrent une centaine d’habitants en les amenant sur les iles de Mangareva. Il reste de cette époque des liens très forts entre Rapa Nui et la Polynésie Française. Le dictateur, quant à lui, fut assassiné 7 ans plus tard. A cette époque, il ne reste plus que 111 pascuans, d’où la difficulté de sauver la tradition orale de cette culture. Le Chili annexa le territoire en 1888 pour le céder à une compagnie anglaise qui la transforma en élevage de mouton et assura de facto le gouvernement de l’île jusque dans la moitié du XXème siècle. Le Chili reprend ses droits à ce moment là.
Dernière anecdote, afin d’assurer leur contrôle sur la population, les Chiliens réunirent les habitants sur le lieu qui allait devenir Hanga Roa (le seul village de l’île). Ils ne trouvèrent pas de moyen plus efficace et plus rapide que de leur tirer dessus pour les rabattre là où ils voulaient. Aujourd’hui, cette dépossession des terres ancestrales est au coeur d’âpres discussions avec le gouvernement chilien puisque les pascuans n’ont toujours pas le droit d’habiter ailleurs qu’à Hanga Roa. Rapa Nui appartient pour 1/3 à un parc national et le reste est au Chili.
La culture RapaNui est l’objet d’une résurgence au près de la jeunesse pascuane ainsi que la fierté d’appartenir au peuple maori.