Il n’est pas besoin d’être noble, pour se faire appeler “Doña”
Doña Nicolas est un petit bout de femme énergique, son fichu toujours posé sur la tête, que nous avons rencontré lors de notre participation à l’atelier de construction de cuisines solaires de l’association Inti Illimani. Même si elle n’est pas d’origine noble (DON en espagnol signifie “De Origen Noble”), l’appellation Doña est une marque de respect commune en Bolivie, chacun reconnaissant les qualités qui animent cette femme, instigatrice de l’atelier dans son village de San Lorenzo, province de Cochabamba, Bolivie. Elle nous a ouvert les portes de sa maison sans aucune hésitation et nous a logé comme des invités de marque!
Nous avons dormi sur un bon matelas de paille dans la chambre d’une de ses filles qui habite maintenant à La Paz. En son absence, la chambre se transforme occasionnellement en grenier à maïs. Après la récolte, il faut le faire sécher pendant au moins un mois pour mieux le conserver. Les quelques journées de pluies précédant notre arrivée l’avait fait déménagé du toit de tôle à la chambre. Le maïs est la base de l’alimentation d’où l’importance d’assurer sa conservation, d’autant que l’excédent pourra ensuite être vendu sur le marché de Punata, le village voisin de San Lorenzo. Dans la pièce d’à côté, séparé par un fin drap de coton, ce sont les pêches qui sèchent, en les faisant bouillir, on obtiendra de très bons jus.
Un accueil chaleureux, malgré des conditions de vie spartiates
La maison est assez grande, une véritable petite ferme mais au confort le plus modeste: pas d’eau courante, l’eau est tirée du puits, mais avec le froid, les tuyaux sont systématiquement gelés la nuit, pas de salle de bain et les toilettes au fond du jardin, à l’extérieur de la maison. Aller aux toilettes la nuit relève d’un véritable supplice, il faut traverser la cour intérieure, dans le noir le plus complet, en faisant attention à ne pas marcher sur les excréments de canards, pour se rendre dans le jardin dans des toilettes sans électricité, ni eau courante, ni porte. Tout cela dans un froid glacial (certainement en-dessous de zéro), ce qui nous change radicalement de la chaleur étouffante du jour!
Nous avons aussi appris à cohabiter avec les poulets et les canards, installés dans la cour intérieure. Ils sont destinés à être vendu sur le marché. Nous avons été plutôt content d’apprendre que Doña Nicolas s’était récemment décidée à vendre ses cochons, qui vivaient encore dans la cour il y quelques mois à peine! Les canards sont en totale liberté et si, par mégarde, on ne ferme pas bien l’une des portes de la maison, ils s’invitent partout.
Quand le manque de confort du foyer se révèle finalement être un choix
Mais ce qui nous a le plus impressionné, c’est, d’avoir découvert dans notre chambre, sous un drap, un ordinateur, une imprimante et un lecteur de DVD dernier cri! Nous apprendrons plusieurs jours après notre arrivée que la maison est même reliée à internet! Cela nous confirme donc que le confort, qui nous semblait des plus rudimentaires, est bien une valeur subjective et culturelle, puisqu’il y a de l’argent pour acheter de l’électronique au lieu d’installer l’eau courante ou une salle de bain, entre autres.
Doña Nicolas vit avec ses deux plus jeunes enfants de 10 et 16 ans, seule, car son mari a immigré en Espagne. Comme de nombreux autres boliviens, qui aspirent à une vie meilleure pour leurs familles, la réussite du foyer de Doña Nicolas dépend donc de l’eldorado européen. C’est en discutant avec les autres participants de l’atelier (une vingtaine de personnes), que nous nous rendons compte de l’ampleur de l’immigration des boliviens. L’un avait une fille à Paris (“sans-papier” et avec un enfant de trois ans), l’autre faisait des allers-retours réguliers en Espagne, l’autre, encore, revenait des Etats-Unis, etc.
Un bon maté et les langues se délient
Quant à l’activité de Dona Nicolas, car elle n’est pas du genre à attendre l’argent que lui transfère tous les mois son mari, elle a beaucoup à faire dans ses champs de tabac, riz et de coca à Chapare, à quelques heures de Cochabamba, son climat humide étant propice à de nombreuses cultures fertiles. Au moment des récoltes, elle se rend sur place mais elle a en horreur son climat: il y fait chaud et humide, et cela grouille d’insectes!
Nos moments privilégiés étaient le soir lorsque, sirotant un maté (infusion) à partir d’une plante de son jardin (celle-ci agit contre les maux d’estomac, celle-là contre les rhumes, etc.), nous nous faisions les observateurs des grandes discussions politiques qu’animaient Doña Nicolas et les salariés d’Inti Illimani. Evo Morales était souvent au coeur du débat, les uns lui attribuant des résultats positifs en matière de désenclavement de l’altiplano ou de lutte contre le narcotrafic qui ruine la réputation des “cocaleros” honnêtes (cultivateur de coca), les autres critiquant sa stratégie de division sociale du pays pour ne s’occuper que des “campesinos” (paysans, en majorité écrasante, des amérindiens).
Grâce à l’accueil de Doña Nicolas, nous avons pu entrapercevoir le mode de vie et le quotidien des paysans boliviens.