Son port d’arrivée serait celui de son départ
Ce fut le premier passager avec lequel nous avons parlé à bord du Grande Atlantico lors du trajet Europe-Dakar. Autrichien vivant à Vienne, il avait embarqué à Hambourg pour un voyage de cinq semaines. Son port d’arrivée serait celui de son départ ! Sur cet itinéraire là, Europe – Afrique de l’Ouest, il est rare qu’il y ait des passagers et encore plus rare qu’ils fassent la boucle.
Ainsi une raison hors du commun avait poussé Alexander à embarquer à bord du Grande Atlantico: il marchait sur les pas de sa grand-mère! En 1968, celle-ci avait décidé d’aller voir le monde à quelques soixante printemps. Elle avait embarqué en Croatie sur un bateau de passagers à destination du Nigéria avec plusieurs étapes en Afrique de l’Ouest: Dakar, Abidjan, Conakry ou encore le Ghana. De son périple, qui avait duré deux ans, elle avait laissé en héritage un journal de bord. D’abord oublié au fond d’un carton, Alexander l’avait retrouvé à la lumière d’un déménagement, quelques années après la disparition de la principale intéressée.
Malgré la difficulté que représentait le décryptage de cette fine et serrée écriture, faite de pleins et de déliés, Alexander passât plusieurs nuits à lire le témoignage de sa grand-mère, sublimé par l’aventure, la (re-)découverte du personnage et l’époque. Homme de lettres, l’idée grandit en lui de marcher sur les pas de l’aïeule baroudeuse, de confronter leur expérience avec quarante ans d’écart et d’en faire un livre ! Ainsi, un an de préparation, quelques recherches documentaires sur le voyage en cargo, les pays traversés et l’époque, un séjour préparatif à Dakar l’année passée, il avait décidé de franchir le cap et de s’embarquer pour les cinq semaines que durent –aujourd’hui – le trajet, accompagné dans sa quête par un ami.
Revivre, à quarante d’écart, l’aventure de sa grand-mère baroudeuse
D’ailleurs, à y penser, il y avait dans ce couple formé par les voies du voyage un petit côté Don Quichotte de la Mancha – Sancho Pancha. l’un éteignant les envolées de l’autre. Chanceux que nous étions, notre voyage fut donc agrémenté d’anecdotes sur le voyage en bateau dans les années 60. D’autant plus chanceux, qu’Alexander y mettait beaucoup de coeur – une telle entreprise ne peut se faire qu’avec le coeur, il s’entend – que c’en était un véritable régal. Ah! Vous auriez dû voir sa joie, son enthousiasme lorsque sa quête pour apercevoir dauphins, baleines ou autres poissons-volants – il a sans doute passé des heures à guetter sans relâche l’océan – fût enfin récompensée ! Car il y a quarante ans, les dauphins et autres cétacés étaient déjà au rendez-vous. Et son Sancho Pancha d’acolyte scotché devant la console de jeu vidéo, de répondre d’un ton placide “Mmmmm……”.
Il nous racontait aussi sa grand-mère souffrant des moustiques au large de Dakar, ses souvenirs d’enfant quant à ce voyage et l’imaginaire familial construit autour, les bruits de la guerre entendu depuis le bateau. Il y aussi l’épisode de la Chambre de Commerce de Dakar et de l’émotion qui le submergea lorsqu’il se retrouva devant ce bâtiment qu’il avait vu tant de fois en photo dans l’album familial. Nous avions ainsi l’impression de marcher – nous aussi – sur les pas de la grand-mère et de faire partie de la nouvelle histoire qui s’écrivait sous nos yeux. Il passait quotidiennement deux ou trois heures à écrire, confronter, coucher sur le papier ses sentiments, se questionner et noter les réponses dans un grand cahier. Il souhaitait travailler à l’ancienne, c’est-à-dire sans ordinateur, afin d’accentuer les ressemblances et sans doute d’essayer d’entrer en résonance avec son ancêtre. Il est de ces trésors familiaux que l’on chérit plus que d’autres et qui marque l’imaginaire de toute une famille.