Rencontre à la croisée des chemins : Babacar

Une histoire de l’immigration clandestine d’aujourd’hui !
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Babacar est le muletier de droite

Des confessions tirées à dos de mule

Après avoir passé une semaine à Keur Bamboung, il était temps pour nous de quitter l’île de Bamboung pour retourner sur le continent. Le temps des deux kilomètres reliant le campement à l’embarcadère de la pirogue a été pour nous le théâtre d’une confession inattendue. Jusqu’à présent nous connaissions cette réalité sans l’avoir encore approchée, elle était l’arlésienne de notre voyage, celle qui anime le coeur de nombreux sénégalais: rejoindre l’eldorado européen au risque de leur vie. La voie légale d’accès au vieux continent étant sans espoir, il ne reste plus qu’à remettre son destin aux mains des passeurs et à prier la protection de Dieu pendant la traversée de l’Océan Atlantique dans des embarcations de misère. La pirogue du passeur a remplacé le bateau négrier

Ainsi, Babacar, le muletier du campement nous avoua qu’il avait succombé à l’appel de la civilisation occidentale. L’histoire commence il y a quatre ans lorsque Babacar réussit à réunir 350 000 F CFA (environ 530 euros), prix  à payer pour embarquer dans une pirogue de pêcheurs. Pas besoin de description sur les embarcations de misère qui drainent régulièrement des milliers de candidats à l’émigration, le souvenir des pirogues de pêcheurs aperçus à Saint-Louis suffit à notre compréhension.

Avec lui, 64 compagnons de voyage ayant pour unique but d’atteindre les îles Canaries, avant-poste espagnol de l’Europe en Afrique. En théorie, le voyage dure huit jours… Mais cela n’a pas été le cas pour Babacar! Outil de repérage dans l’immensité de l’océan, le GPS de la pirogue est tombé en panne, et c’est ainsi, qu’au bout du huitième jour, les Canaries n’ont pas daigné apparaitre dans la ligne d’horizon des passagers.

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Pirogue

On est vite perdu au milieu de l’océan

Malgré l’amenuisement des réserves d’essence, d’eau et de nourriture, il fut décidé de continuer dans la même direction pendant encore deux jours… mais… toujours rien que le bleu hypnotisant de l’océan… Finalement, l’instinct de survie vainquit le rêve de découvrir l’Europe, là où l’argent pousse dans les arbres! Ils firent donc demi-tour et errèrent encore quelques jours avant de miraculeusement retrouver les côtes de la Mauritanie, sans vouloir y accoster par peur de finir en prison. Ils les longèrent jusqu’à arriver en territoire sénégalais: Saint-Louis.

Se perdre dans l’océan (et en mourir de soif et de faim) n’est pas le seul risque qu’encourent ces candidats à une vie meilleure: outre les divers éléments de la nature (tempête, etc.), les cargos de marchandises qui transitent entre l’Europe et l’Afrique représentent également un danger mortel. D’une part, les pirogues des passeurs ne sont pas souvent visibles sur les écrans de radars pourtant ultra-modernes des salles de contrôle de ces bateaux. D’autre part, la nuit, en plein océan, même ces mastodontes de ferraille sont invisibles aux yeux d’humains. C’est en partie pour ne pas entrer en collision avec ces pirogues que le cargo que nous avons emprunté entre Anvers et Dakar naviguait si loin des côtes africaines.

A Saint-Louis, alors que tout le monde s’impatientait de fouler à nouveau la terre ferme, la pirogue chavira sous la force des vagues. C’est avec leur terre natale en champ de vision que  ceux qui savaient nager, dont Babacar, aidèrent ceux qui ne le savaient pas. Malgré tout, deux personnes disparurent…

Un nouveau départ… au Sénégal

Aujourd’hui, Babacar a décidé de prendre un nouveau départ, cette fois-ci au Sénégal: il possède 100 anacardiers (l’arbre qui produit la noix de cajou), et avec son salaire à Keur Bamboung, il investit dans un potager et souhaite même ouvrir un restaurant et peut-être une chambre d’hôte. Ses rêves d’Europe ne sont plus qu’un lointain souvenir, son avenir est désormais au Sénégal!

Puisse cette prise de conscience de Babacar s’étendre à toute la jeunesse sénégalaise et éviter ainsi des morts et un avenir de travailleurs sans aucun droit car “sans-papier” ! Malheureusement, le rêve du vieux continent brille encore dans les yeux de nombreux jeunes sénégalais.

Encore faut-il ajouter que l’histoire de Babacar se termine bien. Non seulement, parce qu’il est toujours vivant (et en bonne santé : 1m90, 110 Kg dont 100 de muscles!) mais surtout parce qu’il a osé revenir chez lui et entreprendre de nouveaux projets sans tomber dans la déprime. Bien souvent, la honte d’avoir échoué dans cette entreprise dans laquelle de nombreux proches ont investi retient le candidat à l’émigration à l’exil forcé dans un autre lieu.

Bien d’autres histoires nous ont été contées, comme celle, lors de notre voyage en cargo entre Dakar et Buenos Aires, d’hommes retrouvés mort de soif et de faim dans des containers de marchandises. L’histoire est-elle une légende? L’acharnement de l’équipage à fouiller de fond en comble le bateau à la fin de chaque escale en port africain nous permet d’en douter…

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