Ile de Pâques ou Rapa Nui?

Alors que nous déambulions dans le parc national de Rapa Nui à la découverte de ses incroyables vestiges archéologiques, un conflit foncier historique oppose les rapanui aux chiliens.
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Vestige archéologique
Vestige archéologique

Tous les jours, la compagnie aérienne Lan déverse son lot de visiteurs à Hanga Roa, l’unique village de l’île de Pâques. Ces derniers sont attirés par  son archéologie, ses paysages marins ou encore sa culture polynésienne, dont les représentants ont colonisé l’île bien avant l’arrivée des européens.

Alors que toute l’île respire les vacances, les cocktails sur la plage et les sports nautiques, en toile de fond, il existe un grave conflit qui oppose les Rapanui (les polynésiens ayant colonisés l’île entre 800 et 1 200 après JC) aux chiliens (qui ont annexé l’île en 1888).

Pendant que nous déambulions dans le parc national de Rapa nui à la recherche des fameux Moai, immenses statues en pierre volcanique représentant les ancêtres des Rapanui auxquels ils vouaient un culte, une délégation de l’ONU recensaient les témoignages de violence qu’auraient subi les Rapanui en décembre 2010. En effet, il semblerait que les forces de l’ordre auraient répondu assez  brutalement à des manifestations et des occupations de bâtiments administratifs visant la récupération de terres ancestrales des Rapanui. L’élément déclencheur de ses revendications historiques auront été les rumeurs de privatisation de terrains publics pour y construire des hôtels. Selon les délégués de l’ONU, ces débordements policiers pourraient très bien être dénoncés sur le plan du droit international comme des atteintes aux droits de l’homme. L’Etat Chilien risque donc une nouvelle fois d’être sur le banc des accusés devant la Cour International de Justice de la Haye.

Panneau indépendantiste
Panneau indépendantiste

Nous aurions pu totalement passer à côté. Mis à part quelques pancartes indépendantistes isolés dans les jardins de quelques irréductibles Rapanui, toute l’activité de l’île est tournée vers le tourisme. Le petit village d’Hanga Roa n’est qu’un défilé de restaurants en tout genre, de boutiques de souvenirs, de loueurs de voitures et  d’hébergements.

Il se trouve que, totalement par hasard, la résidence dans laquelle nous logions s’était transformée en QG pour préparer le rendez-vous onusien. D’abord, il y avait les propriétaires qui, quotidiennement, se plaignaient de l’annexion chilienne et n’arrêtaient pas de fustiger le gouvernement actuel, “qui les traite plus mal que Pinochet”. Puis, il y avait ces invités de marque: le roi de Maupiti, une petite île de la Polynésie Française, venu conseiller ses frères maori dans leur recherche d’autonomie. C’est son retour d’expérience sur l’organisation administrative de la Polynésie Française qui intéressent les Rapanui. Ou encore cet anthropologue américain en train de finaliser une thèse sur le conflit foncier de l’île et dans laquelle il analyse comment les Rapanui organisent leur lutte. Il venait de passer plus d’un an sur l’île, parlait couramment le rapanui et s’était fait tatouer un peu partout sur le corps les fameux symboles rongo rongo dont se parent tout rapanui digne de ce nom (supposée écriture des rapanui dont les turpitudes de l’histoire ont fait perdre le décodage).

Fleurs polynésiennes
Fleurs polynésiennes

Toutefois, les cheveux longs relevés en chignon lui faisaient cruellement défaut pour compléter sa tenue de camouflage. Mais il faut dire qu’il est blond alors que les polynésiens ont plutôt les cheveux foncés. Enfin, pendant quelques jours, notre QG de résidence a vu le va et vient de nombreuses autres personnages importants de l’ile, dont le Roi de Rapa Nui en personne! Avec ce dernier, assez réservé, nous n’avons échangé que quelques mots de salutations.

Et c’est comme ça que nous avons découvert les revendications des Rapa Nui. Comme dans toute entreprise de colonisation, l’annexion de l’île par le Chili a entrainé la dépossession des terres ancestrales des populations soumises à la volonté expansionniste de ces nouveaux colons. Pour mettre en œuvre le projet d’exploitation de l’île, les chiliens ont obligé les Rapanui à n‘habiter qu’une partie de l’île, l’actuel emplacement du village d’Hanga Roa. Avant l’arrivée des chiliens, l’ensemble de l’île était habitée, répartie en une 15aines de tribus, représentant grosso-modo une famille bien élargie. Mais, les exploitations de moutons pour la laine ont balayé cette organisation territoriale ancestrale.

La fragilité de l’écosystème de l’île a eu cependant raison de cette entreprise. Le sur-pâturage accentuait l’érosion des couvertures végétales de l’île, déjà menacée par l’action permanente du vent. Ce n’est pas pour autant que les Rapanui ont pu retrouver leur liberté d’installation. Depuis, c’est le parc national de Rapa Nui qui a élu domicile dans l’héritage foncier des polynésiens. A la place des moutons, ce sont maintenant des centaines touristes qui foulent tous les jours ces vertes collines.

Plage de sable fin
Plage de sable fin

L’une des premières revendications des Rapanui est donc précisément de récupérer la propriété de leurs terres. Ils disent se sentir “prisonniers” dans le village de Hanga Roa. Et les voilà déjà en train de se projeter sur une nouvelle distribution polynésienne de l’île en travaillant sur leur arbre généalogique!

Ce n’est pas l’unique conflit foncier qui oppose les Chiliens aux premières nations, notamment amérindiennes. Et cela ne va pas sans compliquer singulièrement la donne pour toutes les parties en désaccord. Imaginons que le Chili accorde quelques avancées aux Rapanui et ce serait créer un précédent historique dans ses autres différends, qui risquerait fort bien de lui faire perdre une bonne partie de son territoire… A l’image des Mapuche de la Patagonie chilienne qui suivent de très près la résolution de ce conflit.

Une autre des revendications concerne le contrôle des flux migratoires de l’île. Ce ne sont évidemment pas les touristes qui sont visés, mais les chiliens du “conti” (continent). L’île agit comme un aimant sur ces derniers qui la prisent pour ses paysages de rêve, son doux climat et ses salaires élevés. Par l’intermédiaire du réseau couchsurfing, nous avons rencontré une chilienne de Puerto Montt qui habite l’île depuis 14 ans. Sa vie ressemble à celle d’une expatriée au soleil, confirmée par son aveu de dépenser sa paie majoritairement en “trago” (consommations dans les bars). C’est pourquoi, les Rapanui, qui ne voudraient pas se retrouver en minorité chez eux, voudraient mettre en place un système de visa avec une durée limitée de séjour qui s’appliquerait à tout le monde (mais surtout aux chiliens du conti).

Le conflit foncier
Le conflit foncier

Enfin, les Rapanui souhaiteraient être mieux représentés au sein des institutions officielles de l’île (administration, armée, musée, conaf (équivalent de notre ONF), etc.), le repaire des chiliens du conti. Ils se sont rendus compte que leurs instances de représentation (comme le Parlement Rapa Nui ou le conseil des anciens) n’avaient qu’un rôle informel dans la gouvernance de l’île.

Côté chilien, il ne semble pas que ces revendications soient vraiment prises au sérieux. Selon le témoignage de notre buveuse de “trago”, les “indépendantistes” ne représenteraient qu’une petite minorité de la population qui passerait son temps à se disputer le leadership plutôt que de proposer un projet sérieux de gouvernement. Quant à la majorité silencieuse, elle n’aspirerait qu’à une vie paisible et sans histoires.

Pour les Rapanui, la cerise sur le gâteau serait évidemment la décolonisation mais la dépendance actuelle de l’île vis-à-vis du Chili constitue un obstacle de taille. C’est bien simple tout ce que l’on trouve sur l’île est  importé du continent via la liaison aérienne quotidienne. A part quelques cultures locales, comme le taro, la banane, l’ananas ou la patate douce, tout le reste du ravitaillement de l’île provient de l’extérieur. Sans oublier, l’électricité qui fonctionne avec du pétrole approvisionné par cargo, lesquels en profitent pour récupérer les poubelles de l’île, seul politique de traitement des déchets à ce jour.  

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