Le tourisme dans la Quebrada de Humahuaca, un levier de développement?

Comparaison de deux aspects distincts de la province de Jujuy en Argentine: les Yungas et la Quebrada de Humahuaca.
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Des paysages à vous couper le souffle

Après une semaine isolée à San Francisco, village situé dans la réserve de biosphère de “las yungas”, nous sommes frappés par les contrastes que représente la Quebrada de Humahuaca (“quebrada” désigne une vallée creusée par un fleuve), pourtant située à vol d’oiseau à, à peine, 100 km!

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Des cactus

Sur le plan climatique, le climat sec et aride de la quebrada diffère grandement du climat tropical des Yungas. Ainsi, il ne pleut presque pas (à peine 140 mm par an, dans certains endroits) et la flore disponible s’en ressent: c’en est fini des forêts débordantes de végétation, place aux cactus et aux arbustes à épines! Cette flore est d’ailleurs protégée, tellement elle se fait rare. Apparemment, il faudrait 100 ans pour qu’un cactus d’un mètre pousse! Ce dernier est convoité pour son bois, qui fait cruellement défaut dans la zone. Quant aux arbustes, ils servent de nourriture aux chèvres et leurs branches servent de combustible pour la cuisine.

Ensuite, le climat venteux de la quebrada favorise l’érosion des sols, qui rend d’autant plus difficile le maintien de cette végétation déjà pauvre. Mais, c’est aussi à la faveur de cette érosion que les couleurs des montagnes se laissent découvrir…

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La terre arbore mille teintes de couleur

Point besoin d’être sportif pour atteindre 4000 mètres d’altitude!

Sur le plan géographique, la quebrada se trouve à des altitudes plus importantes que dans las Yungas, de 2000 mètres à 4000 mètres pour les villages isolés des montagnes entourant la quebrada, voir 6000 mètres pour les pics de montagnes, alors que pour les yungas, les altitudes vont de 1000 à 2500 mètres.

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Les villages atteignent “facilement” 4000 mètres

Pour ceux qui ne sont pas habitués à l’altitude, il est important de monter au fur et à mesure dans la quebrada (du Sud vers le Nord) et, ainsi, laisser le temps à son corps de s’habituer à la rareté de l’oxygène en altitude. En aparté, c’est incroyable comme ces altitudes sont facilement accessibles par l’homme (à pieds ou en voiture), contrairement à la France. Jusqu’à 4000 mètres voir plus, nul besoin d’aptitudes techniques en alpinisme, ni d’un entrainement sportif particulier, et même ceux qui ont le vertige sont les bienvenus!

Les températures sont aussi bien différentes. Nous vivons, dans une même journée, les saisons d’été et d’hiver. En journée, le soleil tape bien fort et il n’y a pas d’ombre dans les montagnes! Actuellement, en automne, les températures peuvent aller jusqu’à 30°C en journée, pour descendre à 6°C quand le soleil se couche.

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Encore un cactus

Comme expliqué dans l’article sur les Yungas, les nuages chargés de pluie venant de l’Atlantique ne dépassent pas les premières chaines de montagne de la quebrada. Il s’agit de la pré-cordillère des Andes formés par la tectonique des plaques il y a plus de 200 000 ans. A cet endroit, la terre est argileuse et avec l’action de l’érosion par le vent et l’écoulement de l’eau des rivières, d’étonnantes formations ont vu le jour, laissant découvrir un spectacle de 1000 couleurs (avec le jeu du soleil) en vagues ondulantes.

C’est ce paysage ainsi que la multitude de villages amérindiens, qui perpétuent des cultures millénaires (maïs, patates andines, élevage de lamas, culte de la terre-mère, etc.), qui a décidé l’UNESCO à déclarer ce canyon “patrimoine mondial de l’humanité” en 2003. Depuis, la région a vu son flot de visiteurs augmenter considérablement, et c’est donc le dernier contraste avec la région des Yungas.

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Ce qui relie Iruya au reste du monde: l’antenne de téléphone!

Le coup de pouce de l’inscription de la Quebrada, au patrimoine mondial de l’Unesco

Ainsi, en comparaison avec San Francisco, les villages de la quebrada de Humahuaca offrent plus de services collectifs: internet, téléphone portable, banque, bibliothèques, musées, nombreux transports publics, services de santé, routes asphaltées, etc. Est-ce que ces services pré-existaient au tourisme ou ce dernier a été le levier de développement de tous ces villages? Prenons l’exemple d’Iruya, qui a beaucoup de points communs avec San Francisco: on y accède depuis Humahuaca en trois heures par une piste en terre avec passage d’un col à 4000 mètres et dont la route est régulièrement coupée pendant la saison des pluies, du fait de la crue des rivières. Pourtant, à 2 780 mètres d’altitudes, ce village de 4000 habitants s’est bel et bien développé grâce au tourisme et offre à tous ses habitants les mêmes services qu’en ville! Ce village qui vivait d’élevage de chèvres, de moutons et de vaches, et d’agriculture (patates andines, maïs) a vu améliorer ses conditions de vie grâce aux revenus complémentaires qu’apporte le tourisme, c’est ce que nous ont rapportés quelques habitants avec qui nous avons pu discuter.

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Le bus journalier Humahuaca – Iruya

L’arrivée des touristes dans la région a contribué à développer l’emploi et à offrir aux jeunes des perspectives d’emploi peut-être moins pénibles que l’élevage et l’agriculture. Au regard des services collectifs offerts à tous ses habitants, on peut en déduire que les retombées financières du tourisme bénéficient à tout le monde, même si l’on rencontre de nombreux “portenos” (habitants de Buenos Aires) qui tiennent des hôtels. De plus, nous avons été agréablement surpris de constater que ces villages continuent d’avoir une “vie de village” avec son lot de rassemblement, de fêtes religieuses ou populaires sans que cette culture nous ait semblé être “folklorisée” à l’attention des touristes, en quête d’authenticité. Ainsi, de façon discrète et sans avoir l’impression de déranger, nous avons pu assister à un concours de danses folkloriques à Tilcara, ainsi qu’à la dévotion de la vierge de Copacabana à Humahuaca.

D’un autre côté, le tourisme ne favorise-t-il pas la désertification des villages isolés dans les montagnes de la Quebrada? N’accentue-t-il pas le phénomène d’urbanisation? On peut en douter, car les conditions de vie semblent tellement difficiles qu’offres d’emploi ou non, les gens tenteraient leur chance “en ville”.

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route sinueuse au milieu d’un paysage époustouflant

Le tourisme, un levier du développement sous certaines conditions

Simplement, le tourisme apporte son lot de problématiques que les pouvoirs publics doivent prendre en compte et apprendre à gérer. L’exemple le plus critique est celui des déchets. Aujourd’hui, dans la plupart des villages, les déchets sont ramassés mais non traités, ils sont assemblés dans des déchèteries à ciel ouvert, qui contaminent ainsi les sols et l’eau. Cette dernière n’est pas toujours traitée, car considérée comme “pure”, puisque provenant des montagnes. Sans oublier, qu’il n’est pas rare de rencontrer des déchèteries sauvages un peu partout (attention à ne pas confondre avec les offrandes faites à la pacha Mama, qui elle-aussi a droit à tous les produits de consommation agroindustriels!).

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Fonds de décors des petits villages de la Quebrada

De plus, étant situé dans une région aride et sèche, l’augmentation de la pression sur l’eau peut s’avérer problématique, il n’est pas rare qu’en hiver, certains habitants de Humahuaca manquent d’eau.

Enfin, l’augmentation des visiteurs contribue à la détérioration de sites déjà fragiles, dont la terre est déjà sujette à érosion et éboulement de terrain. Se pose donc la question des moyens de conservation de ce patrimoine.

En conclusion, comme toute activité économique, le tourisme doit être pensé de façon durable et en adéquation avec son environnement.

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4 comments
  1. Pensée très intéressante. Nous avons passé un peu plus de 3 semaines dans la Quebrada de Humahuaca. Nous avons effectivement constaté que les villages “authentiques” ne sont plus si authentiques que ça depuis un moment. Seuls les villages qui ne sont pas mentionnés dans le routard ou le Lonely planet sortent du lot. Nous avons passé près de 2 semaines dan sle village de Juella qui pour le coup est très préservé. Nous sommes aussi passés dans le village de Santa Ana dans la Puna. C’est sans doute le plus préservé que nous ayons vu.
    Mais quoi qu’il en soit, cette région vaut vraiment le détour 🙂

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